« Mes employeurs dénigrent les aménagements dont j’ai besoin », Marion, 24 ans, région parisienne
Publié il y a 4 ans, le 20 novembre 2020
Par
Diplômée en 2018, Marion enchaîne depuis les contrats courts. Elle constate une chose : ses différents postes de travail n’ont jamais été adaptés à ses besoins. La colère, mais aussi la résignation la gagnent.
« La communication gouvernementale dépeint le monde des bisounours : elle donne l’impression que lorsqu’on est handicapée en entreprise, notre travail va être adapté. Or je suis reconnue travailleuse handicapée et l’adaptation de mon poste n’a jamais fait l’objet d’une discussion avec mes supérieurs successifs.
Je vis une vraie désillusion : il n’y a pas de volonté des employeurs d’accessibiliser les postes de travail. Mon dernier contrat en date était un service civique. Je l’avais sélectionné pour sa durée, 24 heures par semaine, ce qui est gérable pour moi. Au final, j’ai dû insister pour ne pas travailler 35 heures, mais seulement trente.
Je suis malvoyante. Certains logiciels et certaines polices n’étaient pas adaptés pour moi, j’ai donc demandé des changements. Mais il y a eu des résistances : l’équipe de mon service civique a mis deux mois et demi à changer ces polices. Et ce n’est pas tout : certaines tâches sont plus ou moins fatigantes pour moi, mais ma cheffe ne prenait pas cet aspect en compte et j’avais du mal à le rappeler à chaque fois. J’ai eu peur de me faire virer. J’ai aussi demandé du matériel car ce service civique se faisait en télétravail : on m’a répondu qu’il n’y en avait pas et qu’ils ne pouvaient pas en financer. J’ai acheté moi-même un grand écran d’ordinateur.
« Soit les aménagements ne sont pas mis en place, soit ils sont abandonnés »
J’ai toujours parlé ouvertement de mon handicap et je fais des efforts pour sensibiliser mes collègues de façon générale. Quand j’arrive dans une nouvelle équipe, je demande tout de même à mes supérieurs d’informer mes collègues que j’ai un handicap. Mais cela n’a jamais été, et cela peut vraiment me poser des problèmes ! Par exemple, je peux ne pas voir quelqu’un qui passe près de mon bureau et donc ne pas le saluer !
Mon handicap n’est pas très visible et je me débrouille bien, je compense, je prends sur moi, jour après jour. Tout ça n’aide pas mes collègues à réaliser que je suis handicapée. Mes besoins particuliers seraient plus visibles si j’étais en fauteuil roulant et que je n’arrivais pas à accéder à mon bureau !
Par le passé j’ai toujours été déçue par le manque de suivi de mes supérieurs. Certains auraient pu prendre le temps de me demander comment cela se passait pour moi : si les aménagements que j’avais demandés étaient bien mis en place ou si j’avais besoin d’autres adaptations. En fait mes employeurs ont toujours dénigré les aménagements dont j’avais besoin. A chacun de mes postes, soit ce que je demandais n’était pas mis en place, soit c’était rapidement abandonné au bout de quelques temps par mes collègues.
« Quand on a trouvé un emploi, il faut faire des compromis »
Je n’ose pas toujours dire ce qui ne va pas. J’ai peur de dire que la structure ne respecte pas mes droits. C’est déjà difficile de trouver un emploi en étant valide et en ayant mes diplômes dans le contexte actuel… il y aura toujours dix personnes qui pourront faire mon travail à ma place, d’autant que pour certaines tâches je peux être plus lente que des personnes valides. Quand on a trouvé un emploi, il faut donc faire des compromis.
C’est aussi de savoir quand je suis discriminée à l’embauche en raison de mon handicap, et non simplement écartée pour d’autres raisons liées à mes compétences. En général je n’indique pas que je suis handicapée sur mon CV et dans mes lettres de motivation. Je le mentionne à la fin de l’entretien. Dans de rares cas, je le mets en avant dans ma candidature lorsque je sais que l’employeur s’adapte.
Il y a un cas où je suis presque certaine d’avoir été discriminée : je postulais pour un volontariat européen. L’entretien s’était plutôt bien déroulé. Les recruteurs m’ont ensuite annoncé que je n’étais pas prise car je ne pourrais pas effectuer certaines tâches qui ne figuraient pas sur la fiche de poste. J’ai appris plus tard que la personne qu’ils avaient embauchée n’a jamais eu à réaliser ces tâches.
L’un des soucis c’est vraiment de savoir quand dire qu’on est handicapée dans le processus de recrutement. Je voudrais qu’il y a une prise de conscience à ce sujet, ça génère beaucoup de frustration, de colère… on est nombreux à avoir besoin de vider notre sac.
« Je suis en colère mais ça se transforme en résignation »
J’ai aussi essayé les salons de recrutement pour les personnes handicapées lorsque j’étais étudiante mais ça n’a pas été satisfaisant. J’ai ainsi effectué un stage de trois mois chez Arte en 2016. Mais je me suis rapidement rendu compte que j’avais été embauchée pour remplir leurs quotas : pour travailler dans cette entreprise il faut parler français et allemand. Or je ne suis pas bilingue en allemand donc il y a avait beaucoup de tâches que je ne pouvais pas faire ! C’est certes de la discrimination positive mais je me suis sentie utilisée. De leur côté ils essayaient de m’occuper comme ils pouvaient !
Le bilan de ces premières années dans le monde du travail c’est que je suis totalement en colère, même si ce sentiment se transforme en résignation avec les années. Déjà pendant mes études, j’ai fait face à des professeurs qui n’aménageaient pas leurs cours, je devais les relancer presque toutes les semaines. Je ne recevais jamais les matériaux de cours à l’avance. Cela demande beaucoup d’énergie de se rebeller, de reprendre les gens en permanence… ça produit de la résignation avec le temps.
Tout ça n’aide pas les personnes handicapées à rechercher un emploi. Cela nous fatigue, physiquement et psychologiquement. J’ai fini mon service civique fin septembre. Pour l’instant je ne cherche pas de travail, je suis épuisée et j’ai peur que ce soit partout pareil. J’hésite à me reconvertir en un métier plus manuel comme du maraîchage car le travail sur ordinateur a un gros impact sur ma santé. Au rythme de 30 heures par semaine, ce n’est pas soutenable pour moi.
Propos recueillis par Laure Delacloche