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« J’ai le sentiment que ma carrière est freinée du fait de mon handicap », Cécile, Auvergne-Rhône Alpes

Cécile a passé les concours de la fonction publique pour être professeur. Elle a certes trouvé un emploi, mais désormais bien lancée dans sa carrière, elle constate qu’elle a moins d’opportunités que ses collègues valides diplômés en même temps qu’elle. Elle s’interroge sur les causes.

« J’ai plus de 10 ans d’expérience mais nous les personnes handicapées sommes toujours dans une position où nous devons prouver deux fois plus notre légitimité. Ce que je regrette, c’est que j’ai beaucoup intériorisé cette exigence. En plus, ce fonctionnement ne donne pas une incroyable confiance dans ses possibilités ! C’est même plutôt l’inverse.

J’ai passé, presque comme tout le monde, les concours de la fonction publique, le Capes puis l’agrégation. Je dis presque que comme tout le monde, car en 2001, pour passer un concours de la fonction publique national, il fallait présenter son dossier à une commission. Celle-ci devait évaluer la comptabilité du handicap avec le métier visé, et la commission se réunissait seulement deux fois par an. J’ai dû attendre le résultat de cette inscription pour m’inscrire.

J’ai du mal à faire carrière

Lors de ma première affectation j’ai fait l’expérience que font beaucoup de personnes handicapées : lorsque la cheffe d’établissement a appris que j’étais en fauteuil, elle m’a dit que ce n’était pas possible que je vienne. Elle a dû penser « oh non, pas un boulet dans mon établissement ». Par la suite ça c’est bien passé, mais lorsque j’ai changé d’établissement 13 ans après, rebelote : il a fallu que je me batte pour obtenir des aménagements, mais aussi que je fasse à nouveau les preuves de ma légitimité.

Avec les années, je me suis rendue compte que j’avais certes surmonté ces premières difficultés, mais que j’ai en fait du mal à faire carrière. Cela m’a frappé quand je me suis rendue compte que les personnes qui ont passé l’agrégation en même temps que moi ont eu des opportunités qui ne m’ont pas été proposées.

Par exemple, mes camarades qui ont passé le concours avec moi ont rapidement été sollicités pour faire de la formation. Cela m’aurait plu. Idem, les collègues de mon lycée sont très sollicités pour recevoir des stagiaires. Je dois être l’une des seules à laquelle on n’en envoie jamais. Pourquoi ? Une AESH est présente dans ma classe pour m’assister. Peut-être que les responsables se disent que ce n’est pas un bon modèle car ça ne correspondra pas aux conditions d’exercice des stagiaires ? Peut-être qu’ils se disent qu’il ne faut pas me surcharger ? Ce sont les inspecteurs d’académie qui décident de tout cela et les professeurs comme moi les voient assez peu, donc ils ne se rendent pas forcément compte de mes capacités.

J’ai donc décidé de faire une thèse. Ça me plaît, mais je me suis aussi lancée là-dedans car j’ai bien vu que je n’avais pas la possibilité de faire autre chose dans mon déroulement de carrière.

Une distorsion entre le niveau de compétences et de responsabilité

Le sentiment que j’ai de ne pas faire la même carrière que les autres est aussi renforcé par le fait qu’on me propose certaines tâches comme des cadeaux alors que ce sont clairement des patates chaudes qu’on se refile normalement entre collègues ! Par exemple, la mission de professeur principal : c’est peu gratifiant, et ça prend beaucoup de temps au regard de la prime qu’on perçoit. Quand je suis arrivée dans mon lycée actuel, je m’étais proposée pour le faire, mais je n’ai finalement pas été sollicitée. L’année d’après, on me l’a proposé comme si j’avais pris du galon ! Ça a été vraiment présenté comme une valorisation alors que c’est plutôt un service qu’on rend au chef d’établissement. Cela renforce le sentiment que si les personnes handicapées travaillent, si elles ont simplement les mêmes missions que leurs collègues valides, c’est une faveur qui leur est faite.

Bien sûr, je suis prudente sur mon jugement. Plein d’autres raisons peuvent expliquer que je sois moins sollicitée que mes collègues, comme par exemple mes compétences. Ou des contraintes réglementaires : comme j’ai une décharge horaire du fait de mon handicap, je ne peux pas faire d’heure supplémentaire. Or ces missions de formation ne peuvent pas être prises sur le temps de service.

Ce qui m’a frappée à plusieurs reprises, c’est vraiment la distorsion entre le niveau de diplômes, l’expérience, et les responsabilités. On retrouve cette distorsion dans les discriminations faites aux femmes.

Les inégalités se produisent quand il y a de la cooptation

Confier des responsabilités à un ou salarié handicapé, c’est une question très importante. Dans le secteur public, les concours sont une garantie d’égalité. Mais ensuite, accéder à des opportunités de carrière n’est pas toujours réglementé par des procédures. La cooptation intervient, et c’est là que se produisent les inégalités. Si on analysait comment ces opportunités sont données aux personnes handicapées, on se rendrait probablement compte des représentations inconscientes qu’on a sur leurs capacités.

Certaines personnes qui ont des responsabilités voient les personnes handicapées comme des personnes fatigables, susceptibles d’être en arrêts maladies. Donc on évite de leur donner des responsabilités. Et puis, est-ce qu’une personne en position d’autorité et valide va identifier une personne handicapée comme pouvant aussi avoir de l’autorité et donc devenir son égal ? »

Propos recueillis par Laure Delacloche

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