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Photo de Marie-Léa Kinka

« Quand je suis devenue handicapée, personne ne m’a prévenu que j’allais être traitée différemment », Marie-Léa Kinka, 44 ans

Marie-Léa Kinka habite à Nancy. Agée de 44 ans, actrice de films pornographiques, elle raconte à Beaview ce que la découverte du validisme a changé pour elle.

« J’ai été valide jusqu’à mon accident il y a 14 ans. J’ai donc conscience que la société ignore ce que c’est que vivre avec un handicap. Cette ignorance ne me choque pas car les gens ne reçoivent pas d’éducation au sujet du handicap. Quand on est valide, on passe les marches sans y penser, c’est tellement facile. J’ai grandi dans la ville où j’ai eu mon accident : du jour au lendemain, je me suis aperçue que les commerces ne sont en fait pas accessibles. »

« Je suis tombée sur le mot validisme sur Twitter »

Ma découverte du concept de validisme est en fait liée à ma vie professionnelle. Il y a trois ans, j’ai voulu compléter ma pension d’invalidité. En cherchant un métier que je pouvais faire, je suis tombée sur des sites de cam girls. Comme j’étais strip-teaseuse professionnelle avant mon accident, je me suis dit « faisons-ça ! » Or parmi les conseils donnés aux débutantes, il y a celui de s’inscrire sur les réseaux sociaux. En bonne élève, je l’ai fait et peu de temps après, je suis tombée sur le hashtag validisme sur Twitter. J’ai vu dans la bio de la personne qu’elle était en situation de handicap, je suis allée chercher la définition sur Google et je me suis dite : « oh la vache, je ne connaissais même pas ce mot ! ». Je me suis tout de suite abonnée aux comptes qui luttent contre le validisme, comme celui d’Elisa Rojas mais aussi de Vivre_Avec et de Marina Carlos

Cela a vraiment mis un mot sur ce que je vis au quotidien. Je me suis aussi sentie plus incluse dans la société car il y avait désormais un mot pour la discrimination que je vivais. Avant, j’essayais de dénoncer les discriminations mais le discours passait moins bien car je n’avais pas les bons mots.

« Je compare le validisme au racisme pour expliquer »

Dans mon quartier, aucun commerce n’est accessible. La boulangerie n’a pas eu l’idée de mettre une rampe amovible depuis que je suis arrivée il y a quatre ans. J’attends tous les jours dehors, comme chez l’épicier. J’explique tous les jours que c’est du validisme. J’explique aussi qu’il y a une loi sur l’accessibilité qui date de 2005. Je compare le validisme au racisme car tout le monde connaît ce mot. Et si c’était une personne racisée qui attendait dehors pour acheter son pain, parce qu’elle est racisée ? Dans ce cas, tout le monde est d’accord pour y voir de la discrimination. 

Depuis 2017, je prononce le mot « validisme » tous les jours, heureusement ou malheureusement. Expliquer tout ça aux gens est un travail de titan mais j’espère qu’un jour une personne percute dans mon quartier et change un peu. Qu’elle y repense une fois qu’elle a sa baguette sous le bras. Je rappelle aussi aux gens qu’ils peuvent devenir handicapés demain. 

« On me répétait extrêmement souvent qu’il fallait que j’oublie ma vie d’avant »

Le validisme, c’est épuisant moralement parce que c’est tous les jours, pour tout. J’ai passé deux ans en CHU et en centre de réadaptation où on nous a appris à nous relever de notre fauteuil quand on en tombe, ce qui est très utile, mais on ne nous a jamais prévenus qu’on allait désormais être traités différemment. En centre de rééducation, psychologues et professionnels me répétaient extrêmement souvent qu’il fallait que j’oublie ma vie d’avant, qu’il fallait que je sois un peu plus passe-partout, – tu vois bien, il faut que tu passes inaperçue dans la rue, il faut que tu oublies tes activités d’avant puisque c’est une renaissance. Tu ne travailleras plus jamais avec ton image, tout ça, c’est du passé, il faut que tu apprennes maintenant que tu vivras avec ta petite pension et que tu sois lambda, il faut te fondre dans la masse -. Mais moi, je n’ai jamais réussi à me fondre dans la masse, j’ai toujours été originale, entre guillemets, et moi, ça ne me parlait pas du tout ce discours-là.

À 32 ans, je ne m’y attendais pas. Dans mon esprit, des personnes stupides allaient me faire des réflexions. Je n’avais pas conscience que notre société était aussi validiste et cruelle. Les premières sorties ont été un énorme choc. Il m’est arrivé d’entendre des gens crier « au four les handicapés » et cela m’arrive encore parfois. La première semaine de ma vie en autonomie, la police a aussi contrôlé mes papiers, ce qui ne m’était jamais arrivée quand j’étais valide. Ils ont vérifié que j’étais bien sur le trottoir avec mon fauteuil et que mon chien était bien en laisse. Ils m’ont contrôlé tous les jours pendant un an. 

« Dans ma vie professionnelle, je me suis aussi heurtée au validisme »

Je me suis aussi pris le validisme en pleine figure dans ma vie professionnelle. Le grand public pense que le milieu du porno est ouvert d’esprit, mais ce n’est en fait pas vraiment le cas. J’ai commencé à être cam girl en 2017, puis j’ai rapidement cherché à participer à des salons de l’érotisme, à la fin de l’année 2018. J’ai mis deux ans pour y parvenir. On m’a refusée partout, avec les mêmes réticences : les organisateurs avaient peur des réactions négatives des visiteurs. Ils craignaient par exemple que je me fasse insulter. 

Lors de mon premier salon en février 2019, à Nancy. Je n’ai pas reçu une seule remarque négative, au contraire. Il y avait une file pour signer des autographes et prendre des selfies, et les visiteurs m’ont dit des choses adorables. Je vais participer à toute la tournée de ces salons en France. Cela prouve qu’il ne faut rien lâcher, quels que soient nos rêves. Bien sûr, ce sera beaucoup plus difficile de les atteindre que pour une personne valide, mais il faut s’accrocher, que ce soit dans le porno ou dans un autre domaine. Ces réticences envers le handicap sont partout.

Propos recueillis par Laure Delacloche et Talía Olvera

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