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Photo : palais de justice

L’égalité devant la justice pour les personnes handicapées est encore loin d’être gagnée

Assister à une audience dehors faute de rampe, prendre un interprète à ses frais ou mimer son viol à défaut de pouvoir se faire comprendre, quinze ans après la loi de 2005, l’accès à la justice française est encore très compliqué pour les personnes handicapées. Pourtant, des solutions existent et ne demandent qu’à être employées.

Ce 14 novembre 2019, faute de rampe d’accès au tribunal, un homme en fauteuil roulant est bloqué aux pieds du bâtiment. Aujourd’hui, s’ouvre devant la cour d’assises de Moulins, le procès de celui qui, trois ans plus tôt, lui a tiré une balle dans la tête qui lui a fait perdre l’usage de ses jambes. Mais il ne peut y assister. La salle d’audience où est jugée son affaire est desservie par un double escalier composé d’une trentaine de marches et aucun accès pour les personnes à mobilité réduite n’a été pensé. Dans l’urgence, c’est à ses proches et à son avocat de trouver la solution : faire appel à des ambulanciers privés qui porteront la victime, pour monter et descendre, afin qu’elle puisse assister à l’audience. Le tout évidemment à leurs frais.

Un droit d’accès à la justice fictif

Ces situations aberrantes sont monnaie courante dans la vie des personnes handicapées. Si ces dernières ont les mêmes droits que les personnes valides, ce n’est qu’en théorie. En réalité, ils sont fictifs, à commencer par l’un des plus essentiels, celui qui doit permettre la mise en œuvre de tous les autres : le droit d’accès à la justice. Alors que tous les citoyens signent des contrats chez le notaire, divorcent devant un juge, portent plainte au commissariat ou prennent rendez-vous chez un avocat, la rencontre entre les personnes handicapées et la justice est particulièrement éprouvante, quand elle n’est pas quasi impossible. Pourtant, l’ambitieuse loi du 11 février 2005 (pour l’Égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées) avait proclamé une égalité d’accès à tous du service public et des établissements recevant du public (ERP), au titre desquels figuraient les commissariats, tribunaux et cabinets d’avocats. Si des travaux étaient évidemment à prévoir, la loi handicap de 2005 fixait comme objectif une accessibilité universelle à l’horizon 2015.

Mobilité réduite et Ad’AP pas encore honorés

Notons que ces difficultés d’accès ne concernent pas uniquement les justiciables. En 2013, Elisa Rojas, avocate au barreau de Paris, lance son blog Aux marches du palais, pour y évoquer les problèmes d’accessibilité qu’elle rencontre dans l’exercice de son métier. « L’idée m’est venue le jour où je me suis retrouvée à assister mon client dans la cuisine du Conseil des Prud’hommes de Villeneuve Saint Georges …, écrit-celle qui défend en fauteuil roulant. La salle d’audience était à l’étage. D’habitude, je me fais porter et j’accepte ces conditions d’exercice indignes. Mais ce matin-là, j’ai décidé d’exprimer mon mécontentement. » Elle fustige : « Se retrouver bloqué à l’entrée, « aux marches » de la société, c’est être dans l’impossibilité d’y prendre part dans les mêmes conditions que les autres ! »

Le 1er janvier 2015, face au retard de plus de 60% des ERP français sur la question de l’accessibilité, un nouveau dispositif est mis en place pour relancer la dynamique : les agendas d’accessibilité programmé (Ad’AP). Obligatoires pour tous les établissements qui n’ont pas respecté les objectifs fixés par la loi de 2005, les Ad’AP engagent les tribunaux à se rendre accessibles aux personnes handicapées dans un délai de neuf ans. D’après le ministère de la Justice, ce sont six millions de mètres carrés de patrimoine (1 770 sites) qui doivent rendus accessibles d’ici l’horizon 2024. « Si rien ou presque n’a été fait avant, c’est en raison du label Monument Historique de nombreux tribunaux français, explique-t-on à la Chancellerie. Leur accessibilité relève d’une véritable complexité technique et architecturale. »

Personnes sourdes et autistes connaissent aussi une accessibilité compliquée

Pour autant, l’accessibilité à la justice n’est pas que physique. Elle suppose aussi depouvoir se faire entendre et comprendre par les personnels de justice comme de police. Or encore aujourd’hui, les outils et les procédures ne sont pas adaptés aux particularismes des différents handicaps.

Interrogée sur le sujet, Anne-Sarah Kertudo, directrice de l’association Droit Pluriel, estime que l’un des freins principaux au dépôt de plainte et aux démarches judiciaires des personnes malentendantes tient au manque de permanences juridiques en langue des signes (LSF). S’il est obligatoire, depuis 2004, de proposer un interprétariat en LSF dans le cadre d’une audience devant un tribunal, cette obligation n’existe pas au stade du dépôt de plainte ou du rendez-vous chez l’avocat. C’est ainsi que peuvent arriver des situations terribles comme cette femme malentendante qui s’est vu demander par des policiers de mimer le viol qu’elle avait subi, faute de pouvoir le raconter avec des mots. « Une personne sourde qui souhaite porter plainte n’a accès à aucune solution gratuite. Elle doit prendre un interprète à ses frais, qui facturera un minimum de 120 euros par vacation », explique la directrice de Droit Pluriel.

Les dispositifs ne sont pas plus adaptés à l’égard des personnes autistes. Selon Marie Rabatel, présidente de l’Association francophone de femmes autistes : « Trop souvent, les questions sont posées de manière ouverte. Or il est difficile pour les personnes autistes d’y répondre, car cela laisse un trop grand éventail de réponses possibles ou avoir un double sens. La réponse peut donc être faussée ou se trouver en total décalage avec la question posée par un policier. En revanche, si vous demandez à une personne autiste de répondre par oui ou par non, vous obtiendrez une réponse, qui sera la bonne. » À cet égard, elle a imaginé un « outil de prévention sous forme de pictogramme » réalisé avec le Planning familial et adapté aux spécificités des autistes, qui présenterait l’avantage de profiter à d’autres personnes vulnérables comme les personnes migrantes. Selon elle, « ce type de présentation permet une lecture accessible à tous » et « quand on sait faire pour les plus faibles, on sait faire pour tout le monde ».

Formation et sensibilisation des personnels pour rompre le malaise

Si d’autres dispositifs existent pour faciliter les démarches des personnes handicapées avec la justice, rien ne remplacera l’information, la formation et la sensibilisation des personnels à la problématique du handicap. Un point déjà souligné par le Défenseur des droits, Jacques Toubon, en 2018 : « La méconnaissance du handicap et les représentations erronées qui en découlent créent un malaise qui entrave souvent la communication entre professionnels du droit et justiciables. » Afin de progresser dans ce domaine, l’association Droit pluriel a développé des modules où se rencontrent entre personnels et justiciables handicapés. « Visio-interprétation, applications permettant de transcrire les paroles sur un téléphone ou boucles magnétiques, tout outil facilitant l’accessibilité y est présenté et expliqué, détaille la présidente.Le retour des personnes formées, qui ignoraient souvent tout de la situation des personnes handicapées, est très positif. Il y a encore tellement à apprendre et à découvrir. » Espérons qu’avec la hausse de 8% de son budget, annoncée cette semaine par le Premier ministre, la justice décide de servir un peu plus cette cause.

Un article de Clara Hesse

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