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Wolfenstein, Life is Strange… Quand le jeu vidéo aborde le handicap

Les personnages handicapés commencent à se faire une place dans le milieu du jeu vidéo, de Life is strange à Mass Effect, en passant par Wolfenstein. Mais les clichés persistent et le chemin semble encore long pour s’éloigner de décennies de validisme, comme le constatent des gameur.se.s concerné.e.s.

Même si l’industrie des jeux vidéo commence à faire des efforts de représentation de la diversité des membres de la société, par exemple créant des personnages transgenres (Tell Me Why, Celeste) ou racisés (Marvel’s Spider-Man : Miles Morales), la question du handicap reste encore largement sous-traitée. Le monde du gaming demeure frileux à intégrer des personnages handicapés dans les narrations.

Pourtant, cette représentation est indispensable pour que les personnes concernées puissent se reconnaître à l’écran, comme l’explique Gwendolyn Garan, Game user researcher, consultante en neurodiversité et accessibilité, et membre de l’association Women in Games : « Dans les jeux vidéo, le handicap est peu voire très mal représenté, avec notamment une vision supposée de la « folie » et de la santé mentale. C’est un sujet dont on ne veut pas entendre parler : on n’ose pas s’imaginer dans cette situation. Mais ce manque de représentations ne permet pas à toute une partie de la société, qui est déjà marginalisée, de s’inclure. Le problème, c’est que dans l’industrie, les personnes non-concernées par le sujet ne s’y intéressent pas, d’autant plus qu’il n’y a pas de formation à ce sujet dans les écoles de jeux vidéo. Les créateurs pensent donc que le handicap est une niche de consommation. Or, cela peut concerner tout le monde, donc ils loupent une part de marché en raisonnant comme ça ».

Le handicap vu comme une souffrance

La diversité vient davantage du jeu indépendant, « un medium qui doit se démarquer et innover pour parvenir à ses fins, dans lequel on encourage les prises de position » selon Gwendolyn Garan.  En 2015, Life is Strange a justement choisi de s’emparer timidement du sujet. Dans ce jeu narratif, Max, une étudiante en photographie, a le pouvoir de remonter dans le temps. Elle retrouve son amie d’enfance, Chloé, une punk rebelle. Un univers parallèle est dévoilé pendant le jeu, mettant en scène Chloé en fauteuil roulant. Une représentation qu’Adrien Débart, étudiant en Master 2 d’études cinématographiques à l’université de Caen (14) et militant antivalidiste, estime dangereuse : « Dans ce jeu, le handicap est vu uniquement sous le prisme de la souffrance. Chloé veut simplement mourir. Comme le joueur peut choisir de l’euthanasier, cela donne l’idée qu’un valide peut avoir le droit de vie ou de mort sur une personne handicapée, ce qui est extrêmement problématique ».

Des personnages interchangeables ?

Du côté des jeux vidéo à gros budgets, dits « triple A », la saga Mass Effect est très régulièrement citée par les gameur.se.s. Ce jeu d’action-RPG (Role Playing Game), se déroulant dans l’espace, connaît toujours un grand succès depuis 2007. L’un des pilotes de l’aventure, Joker, est atteint de la maladie des os de verre. « C’est un personnage génial, drôle, attachant, qui a du charisme », estime Adrien Débart. « Mais il reste un personnage-non-joueur, qui n’accompagne jamais au combat ». Un constat partagé par Gwendolyn Garan : « Ce personnage ne m’a pas marqué. Il pourrait être interchangeable : il n’y a pas de réflexion et donc pas d’impact sur le joueur ou la narration globale. »

Se confronter à d’autres expériences

D’autres jeux vidéo comme The Surge (2017) essuient les mêmes critiques. Dans ce jeu d’action-RPG, le personnage principal débute en fauteuil roulant, puis devient très vite un être augmenté. Gwendolyn Garan est catégorique : « Des narrations comme celle-ci, je les mettrais directement à la poubelle. On devrait pouvoir avoir des personnages handicapés jusqu’au bout. Le but d’un jeu, selon moi, c’est de se confronter à d’autres expériences. Donc faire ce type de narration, à mon sens, c’est ne pas comprendre ce but ».

Mais les critiques les plus vives se concentrent surtout sur les jeux qui dépeignent la vie au quotidien, sans jamais intégrer de personnages handicapés. Dans Animal Crossing, dont le dernier opus, New Horizons, a fait un carton pendant le confinement, les joueur.se.s peuvent construire leur maison sur une île et rencontrer des habitant.e.s. Une aventure dépaysante, dans laquelle des fauteuils roulants circulent… sans humains. Ils ne sont en effet que de simples objets, utilisables pour « décorer » votre intérieur. Dans la même veine, Adrien Débart regrette que le jeu de simulation de vie à succès, Les Sims, n’intègre aucun personnage handicapé : « Et pourtant, leur slogan, c’est Play with life ! (jouez avec la vie). Mais moi, je ne retrouve jamais ma vie dans ce jeu ».

Encourager la représentation de la diversité

Heureusement, le tableau n’est pas totalement négatif et quelques jeux vidéo représentent des personnes handicapées dans leur diversité. C’est le cas des jeux mobiles A Blind Legend ou The Unstoppables, dont les personnages principaux sont aveugles, du jeu de gestion culinaire Overcooked, qui a intégré un commis jouable en fauteuil roulant, mais aussi du jeu d’action-aventure Hellblade : Senua’s Sacrifice, sorti en 2017. Dans cet univers inspiré de la mythologie nordique, « l’anxiété de l’héroïne est retranscrite dans le gameplay », estime Gwendolyn Garan. « Ce jeu parle très bien du lâcher prise et des troubles mentaux comme la psychose, en mettant en scène des hallucinations, des doutes et des dévalorisations personnelles ».

Il est également important de citer la saga de jeux de guerre et d’infiltration à la première personne, Wolfenstein. Les derniers opus dévoilent un monde uchronique, alternatif à la réalité, dans lequel les Nazis ont gagné la Seconde Guerre mondiale. Dans Wolfenstein II : The New Colossus (2017), les joueur.se.s incarnent Blazkowicz, un combattant qui débute le jeu en fauteuil roulant après un accident : « Honnêtement, c’est la scène de jeu la plus jouissive que j’ai vécu de toute ma vie. J’ai trouvé ça génial, ce mec handicapé qui reprend ses droits tout en tirant sur des Nazis. », raconte Adrien Débart.

La saga met également en scène la purge opérée par les Nazis envers les personnes handicapées, pendant la guerre. « Cet aspect historique est inédit. C’est ce type de narration qu’il est souhaitable de voir à l’avenir. », espère Gwendolyn Garan.

S’y reconnaître, mais aussi pouvoir y jouer

Alors, que faire pour encourager cette conscientisation ? Pour Adrien Débart, pour le moment, « l’industrie ne s’en donne pas assez les moyens. Dans le jeu vidéo Cyperpunk 2077, très attendu et sorti l’an dernier, ils auraient pu intégrer des personnages handicapés par exemple : cela aurait été tout un symbole. »

Au contraire, Chantho, militante antivalidiste, estime que l’essentiel n’est pas nécessairement là : « Le plus important, c’est l’accessibilité, et j’ai beaucoup de positivité à partager autour de cela. Je joue depuis que j’ai six ans et étant d’origine khmère, les jeux vidéo m’ont énormément aidé à maîtriser le français. Il y a une réelle volonté d’accessibilité chez les créateurs de jeux vidéo. Par exemple, l’action-aventure The Last of Us 2 est une véritable pépite. Globalement, dans mon enfance, j’ai choisi la voie du gaming parce que c’était plus accessible pour moi que de courir et de faire le chat dans la cour de récréation (rires) » Si l’accessibilité des manettes pour les personnes à mobilité réduite s’est effectivement améliorée ces dernières années, les créateurs de jeux vidéo peinent encore à s’adresser à la pluralité de handicaps. Gwendolyn Garan explique ainsi que certains choix scénaristiques ne sont pas toujours adaptés à ses difficultés cognitives : « Parfois, l’intention n’est pas très claire donc je ne sais pas vraiment comment prendre certaines décisions en tant que joueuse. Pour modifier cela, je crois beaucoup au co-design, qui permet de faire travailler les développeur.se.s de jeux et les personnes handicapées ensemble. Il y a globalement un gros rejet culturel du handicap, que l’on peut reprocher aux créateur.ice.s mais aussi aux joueur.se.s, qui acceptent des insultes ou des clichés validistes. Tout le monde doit participer pour faire évoluer la situation ».

Un article de Salammbô Marie

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