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Image du site make.org

Serge Erbersold : « Les politiques publiques sont en train de passer d’une logique d’intégration à une logique d’inclusion »

La consultation publique lancée par le gouvernement au sujet du handicap en mai 2019 est « assez originale » et montre que « le handicap n’est pas qu’une affaire d’expert », estime Serge Ebersold, titulaire de la chaire accessibilité au Centre national des arts et métiers, chercheur au laboratoire de sociologie du Lise. Selon lui, l’enjeu aujourd’hui pour les personnes handicapées est de pouvoir exercer leurs droits.

Beaview : En mai 2019, une « grande consultation citoyenne » dont le thème est « comment la société peut-elle garantir une vraie place aux personnes handicapées » a été lancée par le gouvernement, sur la plateforme Make.org. Chacun peut y participer. Est-ce la première fois que la question du handicap est ainsi ouverte à tout le monde ?

Photo de Serge Ebersold

Serge Ebersold : A ma connaissance, oui. Cette démarche me semble assez originale. Elle revient à admettre trois choses : d’abord, que la question du handicap ne concerne pas seulement les personnes porteuses d’une déficience. Ensuite, que le handicap n’est pas qu’une affaire d’experts. Et enfin, que dans la période actuelle, il existe une conception plus participative de la démocratie, comme l’a montré par exemple l’organisation du grand débat national par le gouvernement, au début de l’année 2019. Ceux qui font les politiques publiques tendent à prendre en considération les points de vue des individus quels qu’ils soient.

Je constate que les politiques publiques -note 1- sont en train de passer d’une logique d’intégration à une logique d’inclusion. La notion d’intégration présupposait que les personnes présentant une déficience sont à l’extérieur du corps social, c’est-à-dire à l’extérieur du groupe faisant société. La notion d’inclusion veut dire, elle, que c’est l’implication de chacun dans le groupe qui fait que nous sommes une société.

Beaview : Pensez-vous donc que nous sommes en train de changer notre vision du handicap ?

Serge Ebersold : Oui, et les modalités de cette consultation en sont un indice. Aujourd’hui, l’action publique ne s’organise plus autour de la capacité de l’être humain, mais autour de sa complétude.

Cela veut dire qu’aujourd’hui, l’enjeu n’est plus de rééduquer les personnes selon une norme qui, à mon avis, n’existe pas. Le principe, c’est que toute personne a des possibilités de développement, et que chacun doit être soutenu dans ses possibilités. C’est ce qui justifie l’accessibilité. Mais une nouvelle question émerge : comment on va permettre à la personne d’agir comme un sujet qui a des droits ?

Beaview : Pourquoi donner “garantir une vraie place aux personnes handicapées” est une question qui s’impose aujourd’hui ?

Serge Ebersold : Deux aspects me semblent intéressants dans cet intitulé. D’abord, le verbe « garantir ». En France, les lois reconnaissent des droits individuels aux personnes handicapées. Mais le fait qu’elles aient des droits ne veut pas dire qu’ils sont forcément appliqués. L’un des enjeux aujourd’hui est donc de permettre à ces personnes d’expérimenter leurs droits. On fait obligation aux administrations, aux établissements scolaires, aux entreprises de rendre cela possible.

Quant à donner « une vraie place » aux personnes qui présentent une déficience, cela revient à la volonté de donner la capacité à la personne de se penser aussi respectable et estimable que tout un chacun, et être vu comme tel. Il ne suffit pas que les personnes ayant une déficience puissent participer à la société, mais il faut qu’elles soient à égalité de participation.

Par exemple, on ne peut pas résumer la citoyenneté d’une personne qui a une déficience au fait qu’elle puisse se rendre à l’école ou au bureau de vote. Non, il faut qu’elle soit soutenue efficacement et donc, reprenons ces exemples, que les enseignants fassent de la différenciation pédagogique au besoin, ou que les documents des bureaux de vote soit lisibles.

Beaview : Certaines personnes ou organisations, à l’image du CLHEE, critiquent cette consultation en partie car chacun peut y faire ses propositions, qu’il ou elle soit concerné-e directement par le handicap.

Serge Ebersold : Effectivement, cette consultation est intéressante car comment va-t-on mettre ces paroles sur le même plan ? Je ne sais pas combien de personnes, parmi les participants, présentent une déficience et combien n’en présentent pas, mais il y a peut-être là un biais.

Certains acteurs du champ du handicap veulent que l’autre groupe, les personnes qui n’ont pas de déficience, reconnaissent leur expertise et leur particularité. Cette dernière repose sur l’expérience de leur corps. Ouvrir cette consultation à tout le monde en partant du principe que le handicap est situationnel risque de faire oublier que nous avons un problème avec les personnes qui ont une particularité : nous ne savons pas comment nous comporter envers elles.

Enfin, cette consultation est traversée par des enjeux identitaires : comment faire en sorte que les participants soient représentés dans leur identité plurielle, c’est-à-dire non seulement comme personne présentant une déficience mais aussi comme collègue, conjoints, militant, etc. ? Leur point de vue ne doit pas non plus être confondu avec celui de leurs parents ou de leurs proches.


Note 1 Les politiques publiques peuvent être définies comme les interventions de l’Etat dans certains champs de la société ou du territoire (source : Jean-Claude Thoenig, Dictionnaire des politiques publiques, 4e édition, Presses de Sciences Po, 2014)


À consulter : le point de vue du collectif Lutte et handicap pour l’égalité et l’émancipation, parue sur Beaview


Interview de Laure Delacloche

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