Faire un don

Opération renaissance, un programme « grossophobe et dangereux »

Opération renaissance met en scène le parcours de dix personnes obèses et candidates à des opérations de chirurgie bariatrique. L’association Gras Politique, de nombreux soignants et militants féministes ou anti-validistes, dénoncent la grossophobie de l’émission.

Dans Opération renaissance, une émission diffusée sur M6 et présentée par Karine Le Marchand, on suit le parcours, sur trois ans, de dix personnes obèses, candidates à une chirurgie bariatrique (de réduction de l’estomac). L’association Gras Politique dénonce un programme « grossophobe (qui discrimine les personnes grosses) et dangereux ». En 2017, l’association avait lancé une pétition qui réunit près de 30 000 soutiens. Récemment, de nombreux collectifs, associations et soignants ont signé une tribune écrite par Gras Politique sur le blog Mediapart.

« Des personnes pensent que Gras Politique s’en prend aux dix candidats. Nous n’en avons pas après eux, précise d’emblée Claire Automne, qui fait partie de l’association. Nous comprenons très bien, car nous subissons les mêmes injonctions, nous sommes tous gros et grosses. Nous avons pratiquement tous pensé à la chirurgie, ou on nous l’a proposée. »

« C’est toujours la personne grosse, la fautive. »

Le titre de l’émission, Opération renaissance, est révélateur des problèmes : « les personnes obèses sont considérées comme mortes-vivantes tant qu’elles ne réussissent pas à maigrir », explique la tribune. « Ce n’est bien qu’à partir du moment où on correspond aux idéaux. Le fait de changer pour aller vers la minceur est glorifié », illustre Claire Automne.

Pendant l’émission, les participants sont invités à se regarder dans le miroir pour « prendre conscience de leur réalité ». Lors de ces séquences, ils parlent de leurs « défauts » et se déprécient, soulignant que « tout est leur faute ». Alors que de nombreuses études montrent que l’obésité est multifactorielle, la personne et son mode de vie sont désignés comme le problème.

Après que les participants aient « tout tenté » pour maigrir, l’opération est présentée comme le « dernier recours ». « On attend des gros qu’ils se détestent. Les participants sélectionnés ne sont que des personnes qui ont un sentiment négatif vis-à-vis d’elles-mêmes », continue Claire Automne. L’émission n’a pas choisi des personnes bien dans leur peau qui peuvent avoir recours à la chirurgie « pour des raisons de santé ».

« Ce n’est pas aussi simple. »

« Gras Politique n’est pas opposée à la chirurgie bariatrique. Pour certaines personnes obèses (…), c’est une étape difficile mais bénéfique », indique la tribune. « Ce que nous reprochons, c’est que cela ne soit pas suffisamment nuancé. Si on résume l’émission, des personnes n’étaient pas très bien dans leur peau. Elles ont fait de la chirurgie, elles ont perdu du poids et c’est super. Ce n’est pas aussi simple », déplore Claire Automne. Gras Politique insiste sur l’importance du suivi préopératoire et postopératoire et rappelle que la chirurgie bariatrique est strictement encadrée par la Haute Autorité de santé.

Des points non abordés, ou trop peu, dans l’émission, alors que les patients doivent être bien informés. Une nécessité en décalage avec les propos, en voix off, de Karine Le Marchand, qui indique que les participants « ne se rendent pas compte à quel point l’opération va modifier leurs corps ». La présentatrice est omniprésente, jusqu’au bloc opératoire. Face au ton très léger de l’émission, Claire Automne alerte sur les risques : « certaines choses sont évoquées, comme la carence en vitamine, mais ce n’est pas le plus grave. Le risque le plus grave étant la mort. Il y a aussi de nombreux témoignages de personnes qui sont passées par la chirurgie et qui ont dû en faire d’autres. Il peut également y avoir des impacts psychologiques. »

« Injonction aux corps des femmes. »

Karine Le Marchand affirme vouloir se « démarquer de ces émissions à sensation “à l’américaine” ». Opération renaissance, comme de nombreux programmes (Relooking extrême spécial obésité, émission américaine diffusée en France, par exemple), met cependant en scène une perte de poids spectaculaire de candidats sous l’œil des caméras.

Un programme de coaching, comme M6 en diffuse beaucoup, dans lesquels une personne est aidée à résoudre un problème, atteindre un but. Ces émissions font bien plus souvent intervenir des femmes. Dans Opération renaissance, un témoin sur dix est un homme. « La grossophobie touche les hommes, mais c’est surtout une injonction aux corps des femmes, qui doivent être belles. 80% des opérés sont des femmes »,pointe Claire Automne. Le programme n’échappe pas au sexisme, lorsque Cristina Cordula s’étonne que les candidates ne portent pas de robes, ne soient « pas féminines ». Ou encore lorsque Karine Le Marchand lance : « on s’est faites belles pour toi. Tu es un médecin, mais tu restes un homme ».

Mobilisation

De nombreux soignants, collectifs, associations féministes, anti-validistes ont apporté leur soutien. Sur Twitter, Gras Politique a invité à poster des messages avec le hashtag #pasmarenaissance, qui a été plus partagé que le hashtag officiel, « On a senti une vraie mobilisation derrière nous, ces derniers temps », se réjouit Claire Automne.

Cependant, au niveau politique, « il n’y a pas de prise de conscience. Ce serait important que le gouvernement prenne en charge ces choses-là, les formations aux soignants, par exemple ». Gras Politique recense sur son site de nombreux témoignages de patients ayant subi la grossophobie en milieu médical. Actuellement, les plans gouvernementaux contre l’obésité sont surtout représentés par « manger bouger ». « Ce n’est juste plus le même nom, mais nous sommes renvoyés aux régimes. Mais nous savons manger, ce n’est pas le problème. C’est multifactoriel, ça n’a rien à voir avec ce que nous mettons dans notre assiette. »

Un article de Mathilde Sire

Nous avons besoin de vous dès maintenant…

Beaview promeut l’égalité des droits et la citoyenneté des personnes handicapées en défendant une ligne éditoriale non-validiste. Plus que jamais nous avons besoin de soutien pour vivre, maintenir notre indépendance et poursuivre notre objectif. Beaview est un jeune média qui n’a aucun lien d'intérêt avec les grandes organisations du handicap ou avec les institutions. Si votre situation vous le permet, soutenez-nous ! 4, 6, 8 ou 10 euros par mois font la différence.

À découvrir aussi

retour en haut