Premières victimes des violences sexistes, les femmes handicapées se rebiffent
Publié il y a 5 ans, le 28 novembre 2019
Par
Si toutes les femmes sont exposées à la violence patriarcale, celles en situation de handicap en sont particulièrement la cible. Elles étaient présentes pour exiger la fin de ces violences à la grande marche organisée le 23 novembre par le collectif Nous Toutes.
Le cortège accessibilité organisé par Nous Toutes avance doucement dans le dernier quart de la manifestation. Le temps est au gris ce 23 novembre à Paris, mais la pluie s’est arrêtée avant le départ. Les participantes sont entourées d’un cordon humain de volontaires. Ces derniers sont presque aussi nombreux que la trentaine de personnes qui compose ce cortège. « Le but, c’est de permettre à tout le monde de faire la manifestation dans les meilleures conditions », rappelle une organisatrice qui précise : « avec un cordon de sécurité, et un camion si besoin ». Devant elles, une marée de femmes portant panneaux ou vêtements violets, le code couleur de la marche. 150 000 personnes ont manifesté en France dont 100 000 dans la capitale selon les organisatrices (49 000 selon le cabinet de comptage Occurrence), un chiffre qui pulvérise dans tous les cas l’affluence des manifestations précédentes.
Parmi ces personnes, Lydie, qui tient une pancarte où est inscrit « 80% des femmes handicapées subissent des violences, y’en a assez ! ». « Le handicap rend plus propice les situations de violence », rappelle cette féministe.
Ce chiffre, largement repris, provient d’un rapport du Parlement Européen sur la situation des femmes handicapées dans l’Union Européenne. Mais il est ancien : la résolution adoptée par le Parlement Européen date de 2007. Les maltraitances et violences que les femmes handicapées sont plus en risque de subir n’en sont pas moins un fait établi dans de nombreux pays, de la Nouvelle-Zélande au Canada en passant par le Rwanda. Il existe un consensus mondial, rappelé dans la Convention relative aux droits des personnes handicapée des Nations-Unies, sur ce sinistre constat.
40 % des femmes handicapées en couple victimes de violence
A l’avant de ce petit cortège, une dame un poil plus âgée que la moyenne des manifestantes crie à pleins poumons « Nique le patriarcat, on en meurt ! », balai-pancarte dans une main et parapluie dans l’autre. La France ne fait aucunement exception. Près de 40 % des femmes handicapées en couple cohabitant ont rapporté avoir été victimes de violences, d’après un rapport daté de 2016 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. Il est également notable que les femmes dont le conjoint est handicapé soient largement plus victimes de violences (31%) que la moyenne. Ces deux taux sont largement plus élevés que pour les femmes non-concernées par ces deux situations, que l’on trouve respectivement à 17 % et 18 % de violences subies.
Côté hommes, poursuit le rapport, « la part des hommes se déclarant victimes est très significativement plus faible s’ils sont handicapés ou gênés dans la vie quotidienne ».
Quelques mètres en aval, le chiffre mis en avant par Lydie se retrouve sur une longue pancarte siglée FDFA (Femmes pour le dire, femmes pour agir). « La vulnérabilité des femmes handicapées attire les hommes violents », assène Chantal, assistante sociale au sein de l’association. Avant de préciser que, à l’échelle de la société, la gent masculine n’est pas pour autant épargnée par les abus : « Des proches comme les institutions maltraitent régulièrement les personnes en situation de handicap, qui sont d’autant plus vulnérables », dénonce. « Le handicap est un facteur aggravant », renchérit Isabelle Dumont, chargée de communication pour FDFA. Elle poursuit : « La fragilité économique rend ces situations encore plus difficiles. » L’attribution de l’AAH, qui dépend des revenus du conjoint, y est pour beaucoup. Peu de femmes handicapées occupent des emplois à plein temps qui leur donneraient une indépendance économique. Quitter un homme violent, lorsque cela signifie se retrouver totalement sans ressources, est un dilemme encore plus déchirant.
“On doit pouvoir être autonomes”
Une plateforme d’écoute spécifique aux femmes handicapées victimes de violences a été lancée en 2015, à l’initiative de FDFA. Ce numéro, le 01 40 47 06 06*, a reçu plus de 2 000 appels en 2018. Ces appels sont également un moyen de contribuer au recensement de ces violences, dont l’ampleur est encore insuffisamment documentée. Les chiffres l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, par exemple, se basent essentiellement sur les déclarations de victimes, ce qui laisse penser que leur nombre réel tenant compte des femmes qui gardent le silence, est encore plus élevé. « On en a besoin », maintient Isabelle Dumont. « Nous faisons beaucoup de réorientation et d’accompagnement des victimes. On ne peut pas laisser ces femmes seules dans ces situations. » Tout indispensable qu’il soit, cet outil ne constitue pas une solution à long terme. « On doit pouvoir être autonomes », concluent-elles tandis que, quelques mètres plus loin, deux jeunes femmes juchées sur un camion Solidaires scandent le mantra kurde Jin Jiyan Azadî (La femme, la vie, la liberté).
Du côté de l’État, la mise en place de politique de prévention et de sensibilisation à ces violences date seulement de 2014, avec la loi sur l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. Cette mise en place fait partie des buts du plan 2017-2019 de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes. Mais ces objectifs (« Connaître le phénomène » et « Repérer et prendre en charge les victimes ») attestent surtout du retard et de la méconnaissance des pouvoirs publics sur la question. Un positionnement très loin des aspirations des concernés, qui ont notamment pétitionné à plusieurs reprises ces dernières années pour la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH. Un premier pas jugé indispensable pour accéder à une réelle indépendance et faciliter un échappatoire pour les femmes en situation de handicap victimes de violences.
*Le lundi de 10 heures à 13 heures et de 14h30 à 17h30, et le jeudi de 10 heures à 13 heures.
Article mis à jour le 27/01/2020
Un article de Pierre-Olivier Chaput