L’handiphobie et les contenus haineux n’en finiront pas avec la loi Avia
Publié il y a 4 ans, le 9 juillet 2020
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D’un côté, ses fervents défenseurs, de l’autre, ses fidèles opposants. Les premiers voyaient en elle un moyen d’en finir avec la haine en ligne et le cyber-harcèlement, quand les seconds la considéraient comme une véritable menace pour la démocratie et la liberté d’expression. Depuis le 18 juin 2020 et une censure du Conseil constitutionnel, la loi Avia n’est plus – du moins, plus telle que façonnée par la députée qui lui a donné son nom.
Adoptée le 13 mai dernier par l’Assemblée Nationale, la loi Avia devait entrer en application dans notre législation française ce 1er juillet 2020. Premier texte voté durant le confinement – en dehors des mesures d’urgence, elle était, pour La République En Marche (LREM) qui la soutient, « un symbole fort » envoyé aux victimes de cyber-harcèlement. Un enthousiasme sans doute précipité qui souffre aujourd’hui de la décision rendue par le Conseil constitutionnel. Saisis le 18 mai dernier pour examiner cette loi votée par un Parlement ralenti après la crise du Covid-19, leur décision de censurer la disposition phare du projet de loi Avia est un camouflet adressé au gouvernement.
Un objectif nécessaire
Appelée aussi « loi contre la haine sur Internet », la loi Avia défend un objectif nécessaire qu’on ne peut lui enlever : lutter contre les contenus haineux qui pullulent sur nos réseaux sociaux en responsabilisant les grandes plateformes telles que Facebook, Twitter, Snapchat ou YouTube. En 2019, Statista, un site de statistiques allemand, révélait que plus de 40 % des Français de moins de 50 ans avaient déjà subi des attaques répétées sur des plateformes sociales en ligne, dont 22 % chez les jeunes âgés de 18 à 24 ans.
Dans sa version la plus aboutie, la proposition de loi Avia visait ainsi à lutter contre « tout contenu manifestement illicite comportant une incitation à la haine ou une injure à raison de la prétendue race, de la religion, du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap ». Mais aussi contre les contenus à caractère terroriste ou pédopornographique. Si les buts poursuivis par cette loi sont essentiels, les moyens avancés pour y arriver ont souvent été critiqués, notamment au regard de la liberté d’expression.
Au modèles et moyens controversés
S’inspirant en partie du modèle mis en œuvre par Facebook, la proposition de loi Avia voulait imposer à tous les réseaux sociaux des outils et des techniques de lutte similaires à ceux de l’entreprise américaine qui opère déjà un contrôle des contenus. En effet depuis quelques années, cette dernière se vante d’arriver à juguler le problème de la haine en ligne en s’appuyant sur une censure semi-automatique. Opérée grâce à une armée de modérateurs surexploités et d’algorithmes, la censure telle que pratiquée par Facebook a déjà montré les limites de son efficacité. Récemment, des militants LGBTQ+ ont vu leur compte bloqué pour avoir écrit « pédé » ou « pédale » dans des publications prises hors contexte. Vu leurs auteurs, il semble évident que ces termes n’ont pas pu être employés dans un sens insultant. En tout état de cause, le contrôle s’est fait sans prendre la peine d’analyser le contexte… Doit-on y voir là une application anticipée et inquiétante de la loi Avia ?
Concrètement, dans sa disposition phare, elle obligeait Facebook et consorts à supprimer les contenus dits « haineux » en vingt-quatre heures et ceux à caractère terroriste ou pédopornographique en une heure, sous peine de sanctions pénales très dissuasives (pouvant aller jusqu’à 4 % de leur chiffre d’affaires mondial). Une obligation similaire à l’esprit de la loi allemande « NetzDG » dont la loi Avia est en réalité la copie conforme. Votée outre-Rhin en 2017, elle est toujours vivement critiquée par ses détracteurs pour ses atteintes liberticides. Des lignes de fractures qu’on retrouve dans la controverse autour de la loi Avia. Critiquée par le Sénat comme la Commission européenne, le Conseil national des barreaux et plusieurs associations, c’est précisément cette « obligation faite aux réseaux sociaux de supprimer » que le Conseil constitutionnel a censuré, la jugeant incompatible avec la liberté d’expression.
« Le doute aurait profité à la sur-censure »
Certes le but avancé était de « responsabiliser » les plateformes mais le texte, tel qu’imaginé par la députée, offrait à des entreprises privées un pouvoir de censure – presque de police – réservé jusqu’à présent à la puissance publique et aux tribunaux. Précisément, la loi attendait des réseaux sociaux qu’ils se prononcent sur un contenu, après simple signalement de la part d’un utilisateur lambda et cela sans l’intervention d’un juge. Ils auraient été amenés à analyser des propos considérés comme « manifestement haineux », chose qui pouvait demander une certaine « technicité juridique » ou dépendre justement du « contexte » dans lequel la publication avait été faite.
Par ailleurs, soumis à un impératif de temps extrêmement bref pour supprimer, on pouvait craindre de la part des plateformes un excès de prudence et avec lui, un risque de « sur-blocage » des comptes et publications. Un argument mis en avant par La Quadrature du Net, une association qui se bat depuis plus d’un an contre la loi Avia et estime notamment qu’avec elle « le doute aurait profité à la sur-censure ». Afin d’éviter cela, les membres du Conseil constitutionnel ont conclu que la loi Avia incitait « les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites ». Et c’est en cela, qu’elle portait une « une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».
Reste la loi pénale pour punir
Privée de l’essentiel de sa substance, aujourd’hui la loi Avia ne tient plus qu’en deux points. Sur son compte Twitter, Laetitia Avia « se félicite » de ce qu’elle considère comme « deux avancées majeures validées dans la loi » : un parquet judiciaire spécialisé qui aura compétence nationale pour juger le délit de harcèlement sexuel en ligne uniquement lorsque le mobile est raciste ou sexiste, exit l’orientation sexuelle ou le handicap. Ainsi qu’un observatoire de la haine en ligne, dont le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel en désignera les membres et les missions. Malgré le camouflet infligé au gouvernement, la députée LREM n’entend pas renoncer à son combat. Elle explique prendre la décision du Conseil constitutionnel comme « une feuille de route pour mieux construire à l’avenir cette régulation sur les réseaux sociaux. »
Interrogé, le président du Collectif contre l’handiphobie, Alexandre Varaut se dit « soulagé » du sort infligé à la loi Avia à propos de laquelle il est « totalement hostile ». Selon lui, « les actes et les propos handiphobes doivent être poursuivis par le procureur de la République ». Avocat de profession, il estime qu’il « existe depuis longtemps un arsenal législatif extrêmement complet pour lutter contre la haine en ligne ». En effet, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse régule la liberté d’expression et sanctionne les délits qui y sont attachés. Depuis 2004 elle permet à une personne physique ou à une association ayant pour objet la défense des personnes handicapées de poursuivre en justice des propos handiphobes – sur le fondement de la provocation à la haine, de la discrimination ou encore de l’injure. Néanmoins « le procureur de la République manifeste généralement assez peu d’intérêt pour l’handiphobie ».
Un article de Clara Hesse