Devant les MDPH : “Ce sont nos droits, ça n’a pas à coûter trop cher !”
Publié il y a 5 ans, le 16 février 2020
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Plusieurs dizaines de personnes handicapées ont manifesté le 11 février, jour anniversaire de la loi de 2005 sur leurs droits et leur citoyenneté, devant de nombreuses MDPH de France. Elles exigent l’application correcte de la loi, notamment au niveau des délais de traitement des dossiers.
Ni les averses ni les bourrasques glaciales n’ont eu raison de leur détermination. Le 11 février, quelques dizaines de personnes ont manifesté devant la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de Nanterre (92). Elles ont répondu a un appel à se réunir devant toutes les MDPH de France. Des rassemblements ont été répertoriés de la Guyane jusqu’à Villeneuve d’Asq dans le Nord, en passant par la Haute-Garonne.
La date est symbolique : « Ce 11 février marque les 15 ans de la loi de 2005 », rappelle Jean Christophe Amiri, coordinateur de la mobilisation à Paris et dans les Hauts-de-Seine. Il s’agit de la loi dite pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. C’est ce texte qui, notamment, crée les MDPH, consacre le principe d’accessibilité à tous les domaines de la société, et inscrit le droit à la compensation des conséquences du handicap.
Les délais de la discorde
« On veut que la MDPH respecte la loi et ses délais, respecte nos droits déjà existants. On ne veut pas une nouvelle loi, juste que celle qui existe soit respectée », répète Jean Christophe. Le délai de traitement d’un dossier par la MDPH est, en théorie, de quatre mois maximum. En pratique, de l’avis unanime des manifestants, ce délai n’est quasiment jamais respecté. Ces derniers parlent plutôt de six mois minimum, pouvant s’étendre jusqu’à un an ou même un an et demi.
« J’ai discuté avec une personne qui attend depuis six mois son renouvellement de RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, ndlr) », raconte Lou. Elle fait partie d’un groupe qui s’organise à l’université de Jussieu sur les questions de neurodiversité. Une vingtaine d’entre elles et eux sont venus manifester. Les cheveux colorés de nombreux participants tranchent avec la grisaille de cet après-midi de février.
Les jours précédents ont été en partie consacrés à peindre des cartons en pancartes. Parmi les slogans arborés, « Handicap invisible ? Handicap invisibilisé! », « – d’institutions, + de pognon ; nos droits ne sont pas des faveurs », ou encore « Inapte au travail, j’ai le droit de vivre sans me tuer ».
« En plus, ces dossiers sont super durs à remplir, poursuit Lou. Même les papiers pour les simples renouvellements d’aides que l’on touche déjà, qu’on doit aussi remplir quand on a des handicaps causés par des conditions génétiques irréversibles. » Sur ce point, le gouvernement a toutefois annoncé que ces renouvellements ne seraient plus d’actualité pour les handicaps irrémédiables.
« Pour un valide, ce serait difficile à remplir, alors vous imaginez pour quelqu’un qui a un handicap mental ? », renchérit Jean-Martin. Lui est informaticien, avec un contrat à quart-temps. « Pour moi, détaille-t-il, il n’y a pas que le travail qui est fatigant, ce sont toutes les tâches qui me bouffent mon énergie. » Y compris ces incessantes démarches administratives. Son emploi lui rapporte 700 € par mois, complétés par quelques centaines d’euros d’AAH. « Heureusement que je suis propriétaire de mon logement, je ne sais pas comment je ferais autrement. Pourtant, s’emporte-il, ce sont nos droits humains, de nos droits en tant que citoyens dont on parle, ça n’a pas à coûter « trop cher » ! » Au-delà de la question des délais, l’exigence plus large de meilleures conditions de vie est sur toutes les lèvres.
Un peu plus loin, Mathilde tient une longue pancarte en soutien aux AESH (Accompagnants des élèves en situation de handicap ). Cette professeure de français en collège est indignée du traitement réservé aux élèves handicapés. « Avec la procédure de mutualisation, une AESH, est mise à la disposition d’un établissement qui répartit son travail. Mais si il n’y en a que deux sur une horaire où trois ou quatre élèves en ont besoin, comment fait-on ? » Et le sort des accompagnantes, « car ce sont essentiellement des femmes », qu’elle estime « mal payées et pas reconnues » n’est guère enviable non plus. Pour elle, «l’école inclusive ne se donne pas du tout les moyens de ses ambitions ».
Dans son discours prononcé le même jour, le président de la République Emmanuel Macron s’est toutefois engagé à recruter « 11 500 AESH supplémentaires d’ici à 2022 ». Dans le même sens, la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, a déclaré dimanche dans le JDD que l’objectif était que pas un enfant ne soit sans solution de scolarisation à la rentrée de septembre ». L’autre mesure concrète annoncée par le gouvernement est l’ouverture d’un standard téléphonique, au numéro 360, le 1er janvier 2021.
Une organisation express
La coordination nationale qui a aboutit sur cette journée de rassemblements est très récente. « Elle s’est créée mi-janvier, il y a à peine un mois », révèle Jean Christophe Amiri. Il explique que des parents d’élèves handicapés et personnes touchées par le handicap se sont regroupés sur le réseau social Facebook. Une quinzaine de femmes assument les rôles de coordinatrices générales. A partir de là, elles ont rapidement organisé cette journée d’action nationale, et mis en place des coordinateurs locaux. Ces derniers étaient notamment chargés de s’assurer que du dépôt de la manifestation en préfecture.
Une charte approuvée collectivement sur internet avant le rassemblement marque une distanciation avec les associations et les syndicats. Il y est notamment écrit : « Les associations sont autorisées à partager leur soutien à ce mouvement sur leurs pages personnelles tant qu’elles n’en revendiquent ni l’initiative en tant qu’association, ni les revendications portées .» Ce document, approuvé par plus d’une centaine de personnes sur le groupe Facebook, est également prescriptif sur la manière voulue de se mobiliser : « Interdit de bloquer », « Ne pas dégrader les lieux » et définit cette action comme « pleinement apolitique et citoyenne ».
Cette organisation rapide est aussi la raison de l’absence de rassemblement dans Paris : les délais de dépôt de manifestation à la préfecture y sont plus longs. Les organisateurs ont préféré se rabattre sur Nanterre, dont la MDPH a également l’avantage d’être plus accessible que celle de la capitale. Selon lui, ils sont déjà 120 dans son groupe local et plus de 2500 à l’échelle du pays. Jean Christophe tient à préciser que son rôle de coordinateur local ne lui donne aucun pouvoir. « On a vocation a être un mouvement démocratique, on décide ensemble, avec des sondages et des discussions », indique-t-il. Et sous-entends que ce mouvement pourrait se formaliser dans les semaines à venir, sous une forme associative nationale avec une multitude d’antennes locales. Avec l’intention de refaire parler d’eux dans les mois à venir.
Un article de Pierre-Olivier Chaput