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Covid-19 et confinement des établissements pour personnes handicapées : une réalité dont on ne parle pas

Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, des milliers de personnes handicapées sont restées confinées dans des établissements médicalisés. Si quant à leur sort règne une forme d’indifférence générale, dehors, les familles s’inquiètent et espèrent au fur et à mesure que tombent (ou pas) les nouvelles.

Ce qui énerve le plus Jean-Luc Duval, président du Collectif Citoyen Handicap, depuis le début de la crise sanitaire, c’est le « décalage important » entre les annonces de Madame Cluzel, la secrétaire d’État en charge des personnes handicapées et la réalité sur le terrain. « Contrairement à ce qu’elle prétend, non, tout ne va pas bien dans le milieu du handicap. Les structures restées ouvertes sont sans moyens, livrées à elles-mêmes. Combien d’établissements sont véritablement infectés ? Combien de premiers décès peut-on recenser ? À l’heure actuelle, personne n’est vraiment au courant de ce qui s’y passe », soupirait-il fin mars. Pour rappel, à l’annonce de la fermeture des écoles, le 13 mars 2020, la grande majorité des externats et accueils de jour recevant des enfants en situation de handicap comme les IME (Institut Médico-Éducatif) ou les ITEP (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique) ont emboîté le pas aux établissements scolaires. De leur côté, les lieux de vie spécialisés accueillant à l’année des adultes handicapés sont eux restés ouverts. En France, on en compte un peu plus de 4.480 hébergeant environ 144.000 résidents de plus de 18 ans, majoritairement des personnes en situation de handicaps mentaux, cognitifs ou psychiques. Suite à « l’appel du 16 mars » du président Macron, chacun de ces établissements a dû s’adapter – bon gré mal gré – à la mesure de confinement décidée en réponse à la crise sanitaire. Le gouvernement et les agences régionales de santé (ARS) ont bien émis des directives dans le champ médico-social pour prévenir et contenir l’épidémie Covid-19. Mais des discours officiels à la réalité du quotidien dans ces structures fonctionnant le plus souvent en vase clos, comme le soulignait Monsieur Duval, l’écart peut être saisissant.

« Si vous souhaitez la récupérer, c’est aujourd’hui ou jamais »

Le vendredi précédant le premier tour des élections municipales, anticipant de peu le confinement, Séverine B. a reçu un appel de La Fragonnette, la Maison d’accueil spécialisé (MAS) située en Vendée (85) où réside sa fille. « Si vous souhaitez la récupérer, c’est aujourd’hui ou jamais », lui aurait-on dit. Atteinte d’une leucémie depuis septembre 2017, elle ne se voyait pas garder à la maison sept jours sur sept, Alix, sa fille de 24 ans, handicapée en fauteuil, capable de se déplacer seule mais dépendante d’une assistance pour tout le reste. « Il y a des parents qui ont joué le jeu, qui ont les possibilités et les moyens, moi je ne pouvais pas », explique-t-elle. La jeune femme qui avait l’habitude de rentrer dans la maison familiale trois weekends par mois est restée à La Fragonnette, où elle est interne depuis que sa mère est malade.

Le 16 mars dernier, au micro de Vivre FM, Sophie Cluzel se défendait de travailler depuis huit jours déjà à, entre autres : l’organisation du confinement dans certains établissements, la fermeture d’autres et, le cas échéant, à la continuité d’accompagnement pour les familles concernées. Une tâche effectuée, selon ses dires, main dans la main avec les départements, les agences régionales de santé, ainsi que les associations gestionnaires. À en croire la secrétaire d’État, les établissements médico-sociaux, gérés par ces dernières, auraient donc été en mesure d’anticiper le confinement et de prévenir les parents. Malgré cela, la politique appliquée quant au sort des résidents internes et leur possible retour au sein de leurs familles n’a pas été la même dans toutes les structures accueillant des personnes handicapées.

Dans le Vaucluse (84), Murielle C. en a fait l’expérience. La mère de famille aurait bien aimé que le Pré de la Jument Noire qui héberge sa fille en internat depuis quelques années déjà, la laisse décider où celle-ci serait confinée : « Ce n’est pas faute de les avoir harcelés ! Tous les jours, je les ai appelés pour savoir ce qu’ils comptaient faire face au Covid-19. Ils n’avaient rien prévu. Jusqu’au vendredi 13 mars, où j’ai reçu un message de leur part annonçant que sur ordre de l’ARS Provence-Alpes-Côte-D’azur, ils fermaient la MAS et qu’il n’y avait plus de sortie de résident possible. Mais nous, on aurait bien repris Clémentine à la maison durant le confinement ! » Privée de sa fille, Murielle est persuadée que si les vingt-sept internes sont restés au Pré de la Jument Noire contre la volonté de plusieurs parents, c’est pour une « histoire de pognon ». Dans la réalité, difficile de connaître les tenants et les aboutissants d’une telle décision. Une chose est sûre : « S’ils avaient eu un directeur sur place, cela se serait passé autrement ». Depuis l’été dernier, le poste est vacant après un burnout de son précédent occupant.

M.A.S. La Fragonnette capture d’écran Street View

Réorganisation interne et premiers malades

Pour Alix comme pour Clémentine, toutes deux polyhandicapées, les concepts abstraits comme un virus sont difficilement appréhendables et accessibles. Alors il faut trouver des mots simples et rassurants. « Je lui ai dit : ma chérie en ce moment ne peut plus se voir, comme quand maman était malade. C’est pour se protéger. Il faut d’abord qu’on tue le virus pour que tu puisses revenir à la maison », raconte Séverine B. Et d’ajouter : « La séparation se passe bien : il n’y a pas de pleurs, pas de cris, même si elle nous réclame. Je crois qu’elle a compris. » Face à la pandémie, La Fragonnette a imposé à son personnel une discipline très stricte au niveau de l’hygiène et s’est réorganisé en interne. La soixantaine de résidents a été répartie par logis de dix individus, tout en laissant un logis de libre pour d’éventuels cas Covid-19. En ce début du mois de mai, du côté des pensionnaires comme du personnel, l’établissement vendéen n’a toujours aucun malade dans ses murs.

Un petit miracle que n’a pas connu le Pré de la Jument Noire à Saignon, dans le Luberon, où le virus a frappé peu de temps avant les premiers jours du printemps. Parce qu’ils dépendaient de la même unité que celle de sa fille, Murielle C. a été informée qu’un résident en grande détresse respiratoire avait été hospitalisé d’urgence le samedi 21 mars et que d’autres présentaient des symptômes du Covid-19. Une situation à laquelle l’établissement a répondu en transformant son unité rouge en zone de quarantaine, « les résidents simplement fiévreux n’étant plus admis au niveau des pompiers ou des hôpitaux car considérées comme non prioritaires », aurait appris Murielle C. de la bouche d’une cadre du personnel soignant de l’établissement provençal.

Garder le lien avec la famille et gérer le manque

Depuis que les visites des familles ont été suspendues dans les Ehpads et autres établissements médico-sociaux tels que les MAS et les FAM (foyers d’accueil médicalisé), les équipes soignantes tentent, tant bien que mal, de garder le lien avec les proches et de gérer le manque. « Le personnel a créé une page Facebook où ils postent régulièrement des photos et vidéos prises pendant les activités. La semaine dernière, ils ont mis de la musique dans la salle commune. Ma fille était dans son coin pendant que les autres dansaient tous ensemble mais elle chantait », partage Séverine B. « Finalement sur Facebook j’ai plus de nouvelles qu’en les appelant… Au téléphone, soit ils n’ont pas le temps, soit on me répète les activités inscrites sur son planning que j’ai déjà à la maison mais on ne me dit pas comment elle va vraiment », remarque-t-elle. De son côté Alix semble commencer à trouver le temps long : « Même si je suis épatée de la manière dont elle réagit, je constate qu’elle me réclame de plus en plus. » Quand ça ne va pas, les aides-soignantes de La Fragonnette lui passent sur sa tablette des vidéos de sa mère, réalisées par celle-ci avant le confinement. Sur les conseils de Séverine, le personnel veille à ce qu’Alix garde à portée de main Edgard, un ours en peluche, « seul truc auquel elle peut faire des câlins. »

Au début du confinement, Murielle C. n’avait des nouvelles de Clémentine qu’en passant des coups de fil aux aides-soignantes et elle l’entendait quand celles-ci voulaient bien lui coller le combiné à l’oreille. Elle prévient : « Ma fille est quasi aveugle et non verbale. Elle peut se réveiller et ne pas se manifester par exemple. Elle répond par des « mmh » et vous fait des sourires qui se font entendre. Avec le temps j’ai appris à la décoder, même au téléphone. » Ainsi, au cours des premières semaines de confinement, Murielle remarque qu’elle a droit à de moins en moins de « mmh ». Elle s’inquiète de savoir sa fille confinée seule dans une nouvelle chambre du fait de la réorganisation du Pré de la Jument Noire : « Je crains qu’elle ne vive très mal le confinement. Je trouve qu’elle se renferme sur elle-même, ajoutez à cela sa tendance dépressive, j’ai peur qu’elle rentre dans un mutisme total. »

M.A.S. Au Pré de la Jument Noire, capture d’écran Google Maps

Ces “morts acceptables” auxquels personne ne veut croire

Le 28 mars, c’est par un parent adhérent au Conseil de maison que Murielle C. a appris qu’il y avait eu un premier mort Covid-19 au Pré de la Jument Noire et de nouvelles personnes suspectées d’être infectées. Deux jours avant, par une dramatique coïncidence, Murielle avait pris son clavier pour pousser sur Internet un coup de gueule contre « les médias et le gouvernement qui ne font rien pour dénoncer la catastrophe qui se joue dans les Maisons d’accueil spécialisées pour polyhandicapés. » Relayée sur la page Facebook du Collectif Citoyen Handicap, elle s’offusquait à propos de ces nouveaux malades au Pré de la Jument Noire dont personne ne veut à l’hôpital au motif « qu’ils ne sont pas considérés comme un public prioritaire ». Encore choquée par la mort du résident, elle nous confiait : « J’ai peur pour Clémentine. Si elle venait à avoir de la fièvre son état pourrait s’aggraver et sans prise en charge à l’hôpital alors ça serait la fin de tout. »

Simples rumeurs au départ, face au « coro-raz-de-marée » les formules comme « public non prioritaire », « triage parmi les malades » ou « morts acceptables » ont fini par se faire l’écho d’une certaine réalité. Pour Jean-Luc Duval il n’y a rien d’étonnant à ce que le monde du handicap et ses acteurs soient les grands oubliés de cette crise sanitaire : « C’est horrible ce que je vais dire mais on est dans la logique habituelle : ce ne sont que des personnes handicapées, alors ce n’est pas grave si elles meurent. » Pour le président du Collectif Citoyen Handicap, la preuve se trouve dans les chiffres : « Depuis le début de l’épidémie, les chiffres rendus publics ne font pas état d’une distinction entre les EHPADS et les établissements médico-sociaux hors EHPADS. Tandis que Mme Cluzel nous répond que tout va bien pour les personnes handicapées, nous n’avons toujours pas eu le moindre bilan, que ce soit de la part du gouvernement ou des groupes qui gèrent les structures. Le consensus semble être de mise entre les associations gestionnaires et les autorités. » Le 4 avril, après dix jours d’une intensive campagne menée par les équipes du Collectif Citoyen Handicap et la publication de nombreux témoignages comme celui de Murielle C., l’Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis), l’une des plus importantes associations gestionnaires, a fini par publier un communiqué. Sans donner de chiffres sur le nombre de cas graves et de décès dans ces structures, l’Unapei blâme le Samu pour qui « le niveau d’autonomie et de dépendance devient un critère d’admission ou non à l’hôpital » et pointe des « dérives barbares, insidieuses et insupportables [qui] laissent à penser que les personnes en situation de handicap ne méritent pas d’être soignées ou sauvées. » Le 11 avril, en réponse à cette omerta sur le nombre de morts, le collectif de Jean-Luc Duval a décidé de publier lui-même, sur sa page Facebook, un premier bilan partiel – sa dernière mise à jour date du 27 avril.

Se battre et espérer en attendant les retrouvailles

Le 15 avril, la direction du Pré de la Jument Noire a finalement réussi à faire passer des tests de dépistage à tout le monde. Côté personnel soignant, deux personnes ont été mises en arrêt. Côté résidents, trois pensionnaires sont infectés par le Covid-19, dont Clémentine. Inquiète dans un premier temps, Murielle C. se rassure du fait que sa fille est porteuse saine et ne présente aucun symptôme : « Ne supportant pas les cris des malades dans l’unité rouge, Clémentine a été confinée dans sa chambre sous la surveillance du personnel et d’une caméra. » En renfort, l’établissement fait confiance à l’œil expert et familier de sa mère : « Je l’appelle sur Skype tous les jours depuis qu’elle a été diagnostiquée positive. Ainsi, je peux alerter l’équipe médicale si je remarque dans son comportement quelque chose d’anormal. » La jeune fille doit encore rester en quarantaine deux bonnes semaines. Murielle est confiante : « Avec tous les comprimés qu’elle prend tous les jours pour exister, c’est une battante. »

Fin avril, voyant les visites reprendre du côté des Ehpads, Séverine B. a interrogé La Fragonnette après bientôt deux mois sans avoir vu sa fille : « Avec l’annonce du déconfinement le 11 mai et la reprise du travail pour de nombreux parents, la direction réfléchit d’abord au retour des résidents restés confinés en famille. Pour les visites dans l’établissement, cela n’a pas encore été réellement évoqué. Mais un membre du personnel m’a dit qu’il ne fallait rien espérer avant la fin du mois de mai. » Une confidence qui, pour le moment, n’a rien d’une promesse.

Article mis à jour le 15/05/2020

Un article de Clara Hesse

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