Allocations aux adultes handicapés (AAH) et vie en couple : une pétition pour mettre fin à une injustice
Publié il y a 4 ans, le 15 janvier 2021
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L’Allocation aux adultes handicapés (AAH), versée aux personnes ayant “peu accès” à l’emploi est modulée, voire supprimée, en fonction “du salaire” du conjoint. Contre la dépendance financière, une pétition sur le site du Sénat demande que ces revenus ne soient plus pris en compte.
“J’ai croisé beaucoup de gens qui avaient l’Allocation aux adultes handicapés (AAH), se mettaient en couple et voyaient leur AAH baisser ou être supprimée, sans comprendre pourquoi”, explique Sandro. Sur Twitter et dans un blog, il informe sur le syndrome d’Ehlers-Danlos, et sur le handicap en général. ” Le calcul de l’AAH est très opaque, même pour ceux qui y ont droit. Il y a déjà un vrai problème d’accessibilité de l’information “, pointe-t-il.
L’Allocation aux adultes handicapés est une aide financière attribuée “sur décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH).”Pour en bénéficier, le demandeur doit se voir reconnaître un taux d’incapacité d’au moins 80 %, ou un taux compris entre 50 % et 79 % avec “une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi”. Le bénéficiaire doit être âgé d’au moins 20 ans (16 ans dans certaines situations). En 2019, 1,22 millions de Français recevaient l’Allocation adultes handicapés.
Son montant et son mode d’attribution sont souvent remis en question, comme récemment par la Cour des comptes et le gouvernement. La première, dans une logique purement comptable, taclait son mode d’attribution. Le gouvernement évoquait, lui, la possibilité de l’inclure, comme tous les minimas sociaux, dans un Revenu universel d’activité (RUA), avant de revenir en arrière.
” Le mariage pour tous, mais pas pour les handicapés “
Aujourd’hui, le montant maximum de l’AAH est de 902 €, (sous le seuil de pauvreté qui correspond à 1 041 euros par mois pour une personne seule en 2017). Cette allocation est modulée en prenant en compte la composition du ménage et les revenus du conjoint.
Concrètement, l’AAH diminue à partir du moment où une personne célibataire et sans enfant a plus de 600 € de revenus nets imposables. Pour un couple, l’allocation baisse dès que le conjoint gagne plus de 1 000 € et disparaît lorsqu’il gagne 2 269 €, soit à peine plus que le salaire moyen en France (2 238 €, selon l’Insee).
À cause de ce mode de calcul,“il y a des personnes handicapées qui ne s’installent pas avec les personnes qu’elles aiment. Le mariage pour tous, mais pas pour les handicapés”, dénonce Clémentine Dangeron, membre du collectif des Dévalideuses.“Pour moi, cette question de l’AAH a été un gros frein, lors d’une ancienne relation, alors que nous n’étions pas loin de nous installer ensemble”, confirme Sandro.
Dépendance à son conjoint
Lorsqu’une personne handicapée décide de vivre avec son partenaire, “cela veut dire devenir dépendant de son conjoint, et deux personnes qui vivent sur un salaire, c’est serré”, pointe Sandro. Clémentine Dangeron ajoute : “dans son couple, une personne handicapée doit déjà demander de l’aide pour des choses qu’elle ne peut pas faire. Là, si elle ne peut pas travailler, elle doit en plus demander pour tous les actes impliquant de l’argent. C’est d’autant plus important que les personnes handicapées qui touchent l’AAH ont en général quatre fois plus de dépenses de santé.”
En cas de violences, l’absence d’autonomie financière fait que “les victimes sont enchaînées à leur bourreau”, dénonce Sandro. Le constat est particulièrement alarmant pour les femmes handicapées, qui sont plus victimes de violences conjugales physiques ou verbales que les valides. “La CAF (la Caisse d’allocation familiale, qui verse l’AAH) considère qu’une personne n’est plus en couple seulement si elle déménage. Déménager quand on n’a pas d’argent, c’est très compliqué”, illustre Clémentine Dangeron.
Sandro est autoentrepreneur et reçoit l’AAH qui complète ses revenus. En faisant des recherches pour écrire un article à propos du calcul de l’allocation, il est tombé par hasard sur la pétition écrite par Véronique Marie-Bernadette Tixier et publiée début septembre sur la plateforme e-pétition du Sénat. Elle demande la désolidarisation des revenus du conjoint pour le paiement de l’Allocation aux adultes handicapés.
Objectif : 100 000 signatures
Au début du mois de décembre, la pétition sur l’AAH stagnait à 500 signatures. “Je l’ai partagée sur Twitter. Les militants handicapés les plus actifs en ont parlé et nous nous sommes réunis pour trouver des ressources.” Ensemble, ils ont créé un site pour informer et lui apporter de la visibilité.
Objectif : obtenir 100 000 signatures. Les pétitions qui atteignent ce nombre de soutiens entraînent en effet la création d’une mission d’information sénatoriale ou la soumission d’une proposition de texte législatif au Sénat.
C’est depuis janvier 2020, que l’institution propose à “tous citoyens” de créer et de déposer en ligne ou de soutenir une pétition à l’attention des élus. Le 1er octobre 2020, l’Assemblée nationale a également ouvert une plateforme de pétitions sur le même modèle pour “ouvrir les travaux parlementaires à la société civile”. Certaines pourront faire l’objet d’un débat en commission. Sur proposition d’un président de commission ou d’un président de groupe, les pétitions recueillant plus de 500 000 signatures peuvent être débattues en séance publique. Une centaine de propositions très diverses ont déjà été soumises sur les deux plateformes.
FranceConnect, qu’est-ce que c’est ?
Pour apporter son soutien à l’une de ces pétitions “officielles”, il faut être majeur et s’identifier via FranceConnect. Cet outil, qui a été lancé en 2015, permet de se connecter à des services publics avec un identifiant unique. Pour l’instant, La Poste, l’assurance-maladie ou encore le site des impôts utilisent, entre autres, le système.
Un système de signatures plus contraignant que celui des pétitions habituellement massivement partagées sur Change.org, par exemple, qui ne requièrent qu’une adresse mail pour les soutenir. “Pour une pétition du Sénat, c’est impossible, car une personne pourrait créer plusieurs adresses mail et donc signer plusieurs fois. Cela risque donc d’être plus compliqué d’avoir 100 000 signatures que pour une pétition plus classique”, redoute Sandro.
Une pétition pour changer les choses ?
La première fois qu’une pétition a été lancée, dans un cadre prévu par l’Etat pour potentiellement, influer sur la législation, c’était en 2019. Elle demandait un référendum contre la privatisation du groupe ADP (ex-Aéroports de Paris). Les soutiens avaient été collectés sur Internet ou en mairie. Six mois après avoir été déposée, la pétition avait dépassé le million de signatures, même si 4 717 396 étaient nécessaires pour entraîner un référendum.
Si la pétition pour demander la désolidarisation des revenus du conjoint pour le calcul de l’AAH obtient 100 000 signatures, “cela permettra surtout d’attirer l’attention des sénateurs, leur envoyer de la documentation et des témoignages”, selon Sandro. Une bonne opportunité alors qu’une proposition de loi allant dans le sens de la pétition, validée par l’Assemblée nationale en première lecture, contre l’avis du gouvernement, attend au Sénat depuis presque un an.
Un article de Mathilde Sire