Allocation aux adultes handicapés (AAH) : les allocataires ont de quoi être inquiets
Publié il y a 5 ans, le 23 janvier 2020
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Revalorisations insuffisantes, projet d’intégration de l’allocation dans le Revenu universel d’activité (RUA), rapport de la Cour des comptes fustigeant son mode d’attribution… L’État semble vouloir la peau de l’allocation adulte handicapée, touchée par plus d’un million de Français. Surtout, des annonces prévues lors de la Conférence nationale du handicap, le 11 février prochain, pourraient remettre en cause le mode d’attribution de l’Allocation aux adultes handicapés. Dans l’unique but de réaliser des économies et de diminuer le nombre d’allocataires.
Elle est une aide solidaire essentielle pour les personnes en situation de handicap. Mise en place en 1975, l’Allocation aux adultes handicapés (AAH) est conçue comme une aide de l’État en faveur des personnes en situation d’un handicap les empêchant de travailler, qui respecte des critères d’âge et de ressources.
Aujourd’hui, environ 1,2 million de personnes touchent ce minimum social, censé compenser leur absence de revenu, consécutif de leur handicap. Ce chiffre, qui a augmenté de 37 % entre 2008 et 2018, prouve l’importance, pour notre société, de maintenir cette allocation, indispensable pour de très nombreux Français. Or, du point de vue du gouvernement et des institutions, 1,2 millions de bénéficiaires veut d’abord dire un budget de 9,7 milliards d’euros par an (soit une augmentation de 72 % en dix ans selon la Cour des comptes). Plusieurs éléments (annonces, rapports, projets de lois) apparus ces derniers mois prouvent que le gouvernement et les institutions publiques abordent la question de l’AAH avec une logique budgétaire. Ce qui laisse craindre, pour les prochains mois, une importante refonte de l’allocation, qui pourrait mettre en danger ses bénéficiaires.
Revalorisations insuffisantes
Pourtant, le handicap et l’Allocation aux adultes handicapés étaient au cœur de la campagne électorale d’Emmanuel Macron, en 2017. « Le handicap sera l’une des priorités de mon quinquennat », assurait même le futur Président de la République lors du débat d’entre-deux-tours. Un débat pendant lequel il promettait « de revaloriser l’Allocation aux adultes handicapés qui est aujourd’hui sous le seuil de pauvreté ». Un seuil établi, selon l’Insee, à 1 065 € mensuels (après impôts). Depuis 2017, deux revalorisations importantes ont en effet été appliquées, de 41 € en 2018 et de 40 € en 2019. Ainsi, depuis le 1er novembre dernier, le montant maximum de l’allocation est de 900 €. Une bonne nouvelle a priori, mais le montant de l’AAH reste très éloigné du seuil de pauvreté. De plus, certains allocataires, en couple, ne verront pas leur allocation augmenter. Cela à cause d’un nouveau mode de calcul du plafond des ressources du couple. Ce plafond aurait dû augmenter automatiquement avec l’allocation mais le gouvernement a choisi de le stabiliser.
Le spectre du Revenu universel d’activité (RUA)
Si les associations représentatives des personnes handicapées réclament de nouvelles revalorisations de l’AAH, leur combat, ces derniers mois, se concentre principalement sur un projet lancé en grande pompe par le gouvernement : le Revenu universel d’activité (RUA).
Ce projet de Revenu universel d’activité, prévu pour 2023, prévoit de fusionner l’ensemble des allocations. Le 20 décembre 2019, lors d’une réunion intergouvernementale, réunissant plusieurs ministres et associations, le gouvernement a annoncé que l’Allocation aux adultes handicapés devrait être incluse dans ce RUA. Ainsi, le RSA, l’AAH, mais aussi les primes d’activité ou les allocations d’aide au logement (APL) seront toutes confondues dans une même aide, le Revenu universel d’activité.
Cela pose un énorme problème concernant les bénéficiaires de l’AAH. En effet, la mise en place du RUA s’accompagnera de nouvelles « responsabilités » pour les bénéficiaires, qui auront obligation de s’inscrire dans un parcours d’insertion. « Chaque euro gagné par le travail » se traduira par une « augmentation du revenu disponible », promet le gouvernement. Pour continuer à toucher une aide, il faudra donc justifier d’un minimum d’activité.
« Il s’agit bien de permettre le retour à l’emploi, à l’activité », avait précisé Emmanuel Macron dans un discours en date du 13 septembre 2018. Le Revenu universel d’activité est donc conçu pour pousser ses bénéficiaires à travailler. Et, à terme, ceux qui n’auront pas du tout travaillé ne pourront plus toucher cette aide.
Une intégration contraire au principe même de l’AAH
L’intégration de l’Allocation aux adultes handicapés au sein du Revenu universel d’activité est donc totalement opposée au principe même de l’AAH. En effet, cette aide est justement prévue pour les personnes ne pouvant pas travailler, en raison de leur handicap.
Il est inscrit dans la Constitution que l’État doit garantir un revenu convenable d’existence à « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler. » C’est pour répondre à ce principe que la loi de 1975 a créé l’Allocation aux adultes handicapés, sans notion de contreparties et de devoirs pour les bénéficiaires.
« En bons gestionnaires, les membres du gouvernement savent comment faire des économies. Nous n’avons pas de précisions sur le fonctionnement du RUA mais venant de ce gouvernement, on peut craindre le pire. Si l’objectif est de s’aligner sur le RSA (Revenu de solidarité active), alors l’AAH risque d’être fragilisée et son montant de gravement diminuer, s’inquiète Odile Maurin, présidente de l’association Handi-Social. Le principe d’un Revenu universel est une bonne idée mais pas avec des conditions d’activité, qui sont déconnectées de la réalité de ce qu’est l’AAH. »
Intégrer l’AAH au Revenu universel d’activité n’a donc aucun sens. Pourtant le gouvernement insiste et promet, pour faire passer son projet, qu’aucune contrepartie de retour à l’emploi ne sera exigée pour les personnes en situation de handicap. Mais, dans une réponse adressée à la Cour des comptes, le Ministère de la santé et des solidarités, en charge du projet de RUA, précise que celui-ci aura pour but « d’augmenter significativement les choix des personnes dans une société qui doit se construire dans une ouverture bien plus forte à la différence. » Ce qu’il faut comprendre derrière cette formule complexe, est que le but du gouvernement est de permettre à de plus en plus de personnes en situation de handicap d’accéder à l’emploi. On peut donc légitimement penser qu’il sera demandé à une partie des actuels bénéficiaires de l’AAH de justifier d’une activité, alors même qu’on considère aujourd’hui que cela leur est impossible.
L’AAH trop facilement accordée ?
Avant même la mise en place attendue du RUA, des bouleversements dans le mode d’attribution de l’AAH sont à prévoir dans les prochains mois. En novembre dernier, un rapport à charge de la Cour des comptes fait craindre des modifications, qui ne devraient pas être au bénéfice des allocataires, dans l’attribution de l’AAH. La Cour des comptes considère en effet que l’État dépense trop pour cette allocation. Il pointe particulièrement du doigt son mode d’attribution, qui serait inégalitaire d’un département à l’autre et présenterait des risques de fraudes.
Pour bien comprendre ce rapport et ses possibles conséquences, il faut savoir qu’une demande d’AAH se fait auprès d’une Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Le dossier du demandeur, composé notamment d’un formulaire d’informations personnelles et d’un certificat médical – délivré par un médecin « librement choisi par le demandeur », précise la Cour des comptes –, est ensuite étudié par une Équipe pluridisciplinaire d’évaluation. Cette équipe, composée de plusieurs professionnels ayant des compétences en matière de santé et de travail, évalue le « taux d’incapacité » du demandeur et son impossibilité de travailler, en raison de son handicap. Pour rappel, le « taux d’incapacité » doit être supérieur à 50 %, ce qui « correspond à des troubles importants entraînant une gêne notable dans la vie sociale de la personne », comme le précise le guide-barème, le texte référence pour évaluer ce taux d’incapacité. Après cette évaluation, la MDPH rend une pré-décision par laquelle elle donne son avis : accorder l’attribution ou non.
Cette pré-décision est ensuite étudiée par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, composée de représentants de l’État, du département mais aussi de membres d’organisations syndicales et d’associations représentatives des personnes handicapées. C’est cette commission qui rend l’avis définitif d’attribution de l’AAH.
L’objectif de la Cour des comptes : réduire le nombre d’allocataires
Dans les faits, plus de 95 % des pré-décisions rendues par les MDPH sont validées par les commissions. Selon la Cour des comptes, ce sont donc principalement les MDPH et leurs équipes d’évaluation qui décideraient de l’attribution ou non de l’AAH à un demandeur. Cela pose problème à la Cour pour deux raisons : les MDPH n’appliquent pas de critères objectifs (ce qui est logique puisqu’un handicap ou une incapacité ne peuvent pas être évalués de manière objective), on constate donc des taux d’attribution différents d’un département à l’autre ; le dossier fourni par le demandeur et l’évaluation des équipes pluridisciplinaires seraient insuffisants et présenteraient des risques de fraudes.
La Cour des comptes glisse ainsi à l’oreille du gouvernement que le mode d’attribution de l’AAH doit être plus encadré, plus strict. Son rapport (de 250 pages) n’est pas guidé par une volonté de protéger les droits des demandeurs mais par une logique budgétaire : le but, quasi assumé, de l’institution est bien de mieux contrôler l’attribution de l’allocation, afin d’en réduire le nombre de bénéficiaires.
En ce sens, la Cour des comptes a assorti son rapport de neuf propositions concrètes afin « d’améliorer le fonctionnement du dispositif ». Parmi celles-ci, beaucoup d’associations et de médias se sont concentrés sur la recommandation 6 : « instituer a minima une contre-visite médicale obligatoire ». Une proposition jugée scandaleuse pour beaucoup, notamment car elle jetterait une suspicion de fraude sur chaque demandeur et instaurerait l’idée d’un contrôle régulier du handicap des demandeurs, une atteinte à leurs libertés. Même le gouvernement, dans sa réponse à la Cour des comptes, semble opposé à cette proposition. Il s’agit en réalité d’un contre-feu. Cette recommandation, choquante, est là pour faire oublier les autres, plus abstraites.
Des propositions pour réduire le pouvoir des MDPH
Les autres propositions de la Cour des comptes visent notamment à réduire le pouvoir des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). L’institution propose notamment de renforcer les critères établissant le taux d’incapacité, ce qui réduirait le pouvoir d’interprétation des équipes pluridisciplinaires, en établissant des critères plus objectifs. Cela paraît dangereux, car les équipes d’évaluation prennent en compte un contexte, les particularités du demandeur, son environnement social, etc. La mise en place de critères plus objectifs pourrait alors être une source d’injustice pour les demandeurs. Pour Luc Gateau, président de l’association Unapei, cela est d’autant plus dangereux que la Cour des comptes « n’a pour objectif que de réduire la dépense liée à l’AAH sans se préoccuper de la pertinence de la modification quant au respect des droits des personnes handicapées et de l’objectif de l’AAH ».
Par ailleurs, la Cour propose également de contrôler en interne les MDPH et de pouvoir les sanctionner financièrement. Cela mettrait sous pression ces Maisons départementales, qui auraient tendance à être plus strictes concernant leurs pré-décisions, ce qui ferait automatiquement baisser le nombre de bénéficiaires de l’AAH. Selon Jean-Louis Garcia, président de l’Apajh, cette proposition « laisse penser que des abus considérables sont à déplorer. Il est à noter que seules 68 % des premières demandes d’AAH reçoivent une réponse favorable », ce qui ne paraît pas excessif. En sous-entendant que les MDPH délivrent trop facilement l’Allocation aux adultes handicapés, la Cour des comptes fait à nouveau passer le message que trop de personnes touchent aujourd’hui l’allocation.
Autre proposition : modifier la prise de décision au sein des Commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées. La Cour propose en effet d’attribuer la majorité des voix à l’État (qui finance mais n’a qu’un droit de regard jugé limité par l’institution). Ce qui reviendrait à discréditer les MDPH et à écarter les autres membres de la commission (départements et associations) de la prise de décision. Avec, bien sûr, le risque que l’État soit guidé par une logique économique. « Cela serait contraire à l’esprit de la loi de 2005, au principe de démocratie sociale, remettant en cause la collégialité des commissions voulue par le législateur. L’ouverture du droit à l’AAH risquerait alors d’être conditionnée à une enveloppe budgétaire donnée et non plus aux critères d’éligibilité définis par la loi », précise Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades mentaux (Unafam).
Des propositions mises en œuvre dès le 11 février 2020 ?
Il est donc clair que ces propositions (renforcement des critères et de l’encadrement ; contrôle des MDPH ; priorité à l’État pour la décision finale) vont dans le sens d’une réduction du nombre d’allocataires, en réduisant le pouvoir des MDPH. Peut-on craindre que le gouvernement suive prochainement les recommandations de la Cour des comptes ? Nous devrions avoir une première réponse dès le 11 février prochain. En effet, à cette date aura lieu à l’Élysée la cinquième Conférence nationale du handicap, lors de laquelle le président Emmanuel Macron devrait annoncer des mesures concrètes. Pour préparer cette Conférence, des groupes de travail ont été mis en place entre décembre 2018 et mai 2019, répartis en « cinq grands chantiers ». Parmi ces chantiers, on trouve « L’évolution des Maisons départementales du handicap ».
Contacté par Beaview, le Secrétariat d’État chargé des personnes handicapées n’a pas souhaité préciser la nature des annonces prévues pour le 11 février 2020. Cependant, nous nous sommes procuré le rapport du groupe de travail en charge de la question de « L’évolution des Maisons départementales du handicap », publié le 14 mai 2019. Ce groupe de travail a fait une quinzaine de propositions au gouvernement, afin de « faciliter la vie des usagers des MDPH », de « renforcer les compétences et la qualité » et de « renforcer le pilotage des MDPH ».
Parmi ces propositions, quatre d’entre elles font écho à celles de la Cour des comptes :
– « Simplifier le processus de décision. » Ce qui semble correspondre à la volonté d’émettre des critères d’attribution plus objectifs et donc de réduire l’interprétation des équipes pluridisciplinaires d’évaluation.
– « Des décisions mieux maîtrisées à travers le contrôle interne » et la « Mise en place d’une Mission nationale de contrôle », qui renvoient directement à une recommandation de la Cour des comptes.
– « Des instances rénovées ». Parmi les instances des MDPH, on pense bien sûr d’abord aux Commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, qui pourraient donc être rénovées en attribuant la majorité des voix aux représentants de l’État.
Contactée par Beaview, la présidente de ce groupe de travail, Corinne Segrétain, également conseillère départementale de Mayenne, n’a pas donné suite à notre demande d’interview.
Les contre-feux du gouvernement
Si nous ne pouvons être certains des annonces qui seront faites lors de la Conférence nationale du handicap, le 11 février 2020, le fait que la Cour des comptes vienne corroborer les propositions, faites six mois plus tôt par un groupe de travail préparant cette conférence, interpelle. Le rapport de la Cour des comptes semble être fait pour renforcer la légitimité des propositions du groupe de travail.
Ainsi, ces derniers mois, beaucoup se sont focalisés sur la proposition de la Cour des comptes de mettre en place une contre-visite médicale obligatoire (qui était en réalité un contre-feu) ; ou encore sur l’annonce du gouvernement, le 20 décembre dernier, de vouloir intégrer l’AAH au Revenu universel d’activité (qui doit être une réelle préoccupation et un combat à mener). Cette cristallisation du débat autour de ces deux points semble être orchestrée par le gouvernement pour avancer masqué jusqu’à la Conférence nationale du handicap du 11 février 2020. Conférence lors de laquelle on peut craindre une forte diminution du pouvoir des MDPH dans l’attribution de l’Allocation aux adultes handicapés. Et, ainsi, de voir de nombreux bénéficiaires de l’AAH perdre, à terme, cette allocation qui leur est essentielle.
Un article de Florent Le Du