E-sport : l’accessibilité a le vent en poupe
Publié il y a 5 ans, le 27 novembre 2019
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Longtemps mis à l’écart, les joueurs handicapés sont parvenus à se frayer un chemin jusqu’aux scènes des grandes rencontres de l’e-sport. Le signe d’un progrès, qui se matérialise dans la prise en compte de plus en plus importante par les studios et l’industrie des besoins de ces gameurs.
Amelitha s’avance sur la scène, manette en main. Au tournoi Capgame Arena de la Paris Games Week (PGW), la finale du jeu de combat en duel Street Fighter est sur le point de commencer. Organisé par l’association homonyme, cette compétition revendiquée comme inclusive permet à des joueuses et joueurs handicapés de s’affronter sur scène.
Sur les épaules d’Amelitha, un tee-shirt floqué de son pseudo et du logo de l’équipe Rebird Esports. Dans le public, plusieurs autres personnes portent des maillots similaires : le reste de l’équipe venu la soutenir. Avant le grand match, elle participe à trois rencontres de gala, face à deux membres du public et un joueur pro, Davsnot, venu pour l’occasion. Malgré l’emploi de son personnage favori, Ken, elle ne peut rien faire contre le Zangief du professionnel.
La tension qui s’épaississait côté Rebird s’en va cependant bien vite après les premiers rounds de la finale : Amelitha a largement l’avantage sur son opposant Boualem. Ce dernier, spécialiste de Tekken, ne s’était mis à Street Fighter que deux semaines plus tôt, spécialement pour ce tournoi tandis qu’Amelitha pratique ce jeu en compétition depuis déjà 6 mois. Elle remporte la finale sans concéder un round sous les applaudissements de ses coéquipiers.
A 35 ans, c’est sa première victoire en tant que joueuse pro sous le maillot Rebird. Cette équipe d’e-sport, uniquement constituée de joueurs en situation de handicap, n’existe que depuis cette année. La structure, informelle depuis début 2019, n’a officialisé sa création qu’en septembre. Jordan Théo, son président et co-créateur, explique qu’il existait depuis un certain temps « une demande de joueurs qui voulaient être pros, mais qui n’avaient pas de structure adaptée ». Il ajoute : « On devait créer cette structure pour montrer qu’on pouvait arriver à un niveau professionnel malgré nos différences. »
Début novembre, Rebird comptait sept joueurs et joueuses, présentant tous différents handicaps. Deux d’entre eux sont spécialistes des jeux de football, trois des jeux de combat en duel tels Street Fighter, et les deux derniers se concentrent sur le jeu de cartes en ligne Hearthstone. Et Rebird compte bien s’attaquer à d’autres jeux, comme Tom Clancy’s Rainbow Six Siege, plateforme de combats stratégiques entre équipes. Jordan Théo annonce d’ailleurs que l’équipe sur ce jeu pourrait tout à fait être mixte : « Notre non-mixité de base est un message fort, car notre objectif est d’abord la sensibilisation au handicap et la transition vers un e-sport inclusif. Mais on peut aussi jouer ensemble, alors on ne serait pas opposé à la constitution d’équipes mixtes sur certains jeux. »
Même si Rebird participe déjà à ses premières compétitions, la structure demeure en construction : ses joueurs sont dispersés à travers la France, en l’attente d’un lieu physique de regroupement et d’entraînement. « C’est un objectif à terme, précise le président, mais cela nécessite de réunir des fonds. » La recherche de sponsors, bourses ou subventions devient vite une tâche incontournable pour toute équipe de sport électronique en voie de professionnalisation, et Rebird ne fait pas exception.
Inclusivité des lieux, inclusivité des jeux
L’accessibilité des tournois de sport électronique, c’est l’une des missions que s’est donné Capgame. La structure qui existe depuis 2013 est devenue au fil du temps un interlocuteur de référence pour les studios et les industriels du jeu vidéo. Stéphane Laurent, éducateur spécialisé et membre de Capgame explique qu’au fur et à mesure des législations sur l’accessibilité des jeux, des références du secteur comme Ubisoft les ont contactés pour bénéficier de leur expertise. Aujourd’hui, l’association collabore avec FranceEsport, qui chapeaute le développement du sport électronique dans l’hexagone.
« Nous travaillons à la construction d’une fédération inclusive, c’est à dire mixte et où les joueurs en situation de handicap ne soit pas à part », précise Stéphane Laurent. « Les deux points cruciaux de cette inclusivité se situent dans l’accessibilité du lieu et dans celle du jeu. » Pour la première, les mêmes enjeux que dans le reste des infrastructures de la société s’appliquent : bâtiments accessibles, couloirs larges, monte-charges ou rampes pour accéder aux scènes où se déroulent les compétitions, etc. Pour la seconde, c’est un peu plus complexe. Les jeux eux-mêmes doivent être développés avec l’idée de pouvoir être paramétrables pour s’adapter à diverses conditions médicales : changement des couleurs, aide audio, paramétrage des touches, etc. Difficile d’agir sur un produit fini, d’où les interventions de Capgame directement auprès des studios et des développeurs. De nombreux joueurs handicapés utilisent par ailleurs des manettes spécifiques et souvent sur mesure. Ils ont besoin que les jeux reconnaissent ces périphériques, et aussi que les organisateurs des compétitions acceptent ces contrôleurs alternatifs. Ce qui a été le cas à la Paris Games Week et a permis aux sportifs de Rebird de briller dans plusieurs compétitions. La coopération avec les industriels et organisateurs ainsi qu’une série de « bonnes rencontres » ont été, pour Stéphane Laurent, la fondation de ce succès. Un alignement idéal avec le lancement de Hitclic, fabriquant de manettes adaptées dont le stand voisine celui de Capgame dans l’espace « Jouez comme vous êtes » de la PGW.
Hitclic travaille de concert avec Handigameurs, une association qui vise à aider les joueurs en situation de handicap à participer aux tournois. L’homme à la tête de ces structures, David Combarieu, n’est autre que le beau-père de Jordan Théo, le président de Rebird Esport. Ses constats rejoignent largement ceux de Stéphane Laurent : « Le premier obstacle rencontré par les gamers handi était au niveau matériel, d’ou nos travaux sur la conception de matériel adapté et le lancement de la société Hitclic. Ensuite on a pu constater un obstacle logistique lorsque ces joueurs ont souhaité participer à la Paris Games Week en 2018 : difficulté des transport PMR en Île-de-France, trouver un hôtel adapté à proximité de la porte de Versailles, toutes ces barrières peuvent se franchir mais il faut de l’argent. L’association tente donc de financer ces surcoûts. »
Tandis qu’Handigameurs finance ses actions par des dons, par exemple récoltés lors de streams caritatifs, Hitclic mise sur la vente de ses produits. Leurs manettes essentiellement destinées aux porteurs de handicaps moteurs, sont vendues entre 200 et 500 € selon la configuration. Plus cher qu’une manette standard, mais, explique David Combarieu, un tarif qui reste « raisonnable », compte-tenu du processus de production encore partiellement manuel. L’homme, comme nombre de ses comparses, est plutôt optimiste pour l’avenir : longtemps seuls, les petits acteurs comme Capgame et Handigameurs sont progressivement rejoints par les poids lourds du secteur. Le géant américain Microsoft vient de lancer sa manette adaptative officielle, à 90€, qui permet notamment d’être raccordée à de nombreux périphériques… tels que ceux fabriqués par Hitclic.
« Tous les événements et tournois ne sont pas encore totalement accessibles c’est normal, mais la visibilité de Handigamers et des autres acteurs autour du handicap, amènent tout l’écosystème de l’e-sport à prendre en compte les gamers qui ont des besoins spécifiques », conclut David Combarieu. D’ici là, les finalistes de la Capgame Arena promettent tous d’être présents l’année prochaine pour la revanche.
Capgame esport : http://www.capgame.fr/accueil/esport/
Hitclic : https://hitclic.fr/
Handigamers : http://handigamers.com/
Microsoft : https://www.microsoft.com/fr-fr/p/xbox-adaptive-controller/
Rebird Esport : https://twitter.com/RebirdEsport
Un article de Pierre-Olivier Chaput