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Photo : immeuble en construction

Accessibilité des logements : le grave recul de la loi Élan

En faisant baisser le quota de logements accessibles aux personnes en situation de handicap dans la construction neuve, et en créant le principe de « logement évolutif », le gouvernement a cédé au lobby du bâtiment, au détriment des personnes âgées ou handicapées. Dispositions floues, graves risques de discrimination, accroissement des difficultés de logement… Décryptage.

« Avec cette loi Elan, la majorité se bat pour une société réellement inclusive », clame le député Mickaël Nogal, porte-parole de La République en Marche (LREM), en septembre 2018 lors d’une conférence de presse. A chacun de juger sur pièce. La loi en question, intitulée « Évolution du logement et aménagement numérique » (Elan), prévoit que le nombre de logements « accessibles » dans une construction neuve passe de 100 % (prévu par la loi du 11 février 2005) à 20 %.

Le logement accessible : un besoin pour tous

L’accessibilité des logements concerne chaque citoyen. En premier lieu, les personnes en situation de handicap mais aussi les personnes âgées, dont la mobilité est plus susceptible de se réduire. Selon la loi de 2005, le principe d’accessibilité concerne tous les types de handicap (moteurs, sensoriels, mentaux, cognitifs, psychiques, polyhandicap…). Cependant, les dispositions de cette loi Elan concernent particulièrement le handicap moteur et auront principalement un impact pour les personnes circulant en fauteuil roulant.

C’est le cas de Gilles Leroux, 27 ans, que nous avons rencontré. Pour lui, l’accessibilité des logements « c’est d’abord pouvoir se loger dans un appartement adapté. C’est très difficile, il y a peu de logements qui correspondent à mes besoins, c’est souvent la galère pour trouver. Ou bien il faut devenir propriétaire, ce qui n’est pas à la portée de tous ». L’accessibilité, c’est aussi la possibilité de rendre visite à des proches, et donc pouvoir circuler dans leurs logements. En ce sens, et pour pallier la pénurie de logements accessibles, la loi du 11 février 2005, aujourd’hui modifiée, prévoyait que 100 % des logements d’une construction neuve le soient. On souhaitait alors tendre vers un parc immobilier de plus en plus accessible.

Un logement accessible, tel que défini par les lois de 2005 et Elan, doit permettre à une personne en situation de handicap d’utiliser la grande majorité des pièces d’un appartement (cuisine, séjour, chambre d’adultes, cabinet, salle d’eau mais aussi balcons et terrasses), ou encore de pouvoir installer une douche utilisable par une personne en fauteuil roulant. Ainsi, un logement accessible n’est pas un logement directement adapté aux besoins d’une personne. C’est un logement dans lequel tout le monde peut a priori circuler mais pas forcément y vivre. Cependant, le logement accessible est un logement « adaptable », c’est-à-dire qu’il suffira de réaliser des travaux simples pour qu’une personne en situation de handicap puisse y vivre convenablement.

Le « 100 % accessible » n’a en fait jamais existé

Le principe du « 100 % accessible » est toutefois à relativiser. La législation prévoit que cette obligation ne concerne en réalité que les logements situés au rez-de-chaussée ou desservis par un ascenseur. Selon l’Insee, les logements « accessibles » ne concernent en pratique que 40 % de l’ensemble des logements construits depuis 2005.

Aujourd’hui, la majorité présidentielle a choisi de renoncer à ce principe prévu par la loi de 2005. Au lieu des « 100 % », la loi Elan instaure un quota de 20 % de logements accessibles et de 80 % de logements dits « évolutifs ». Mais là encore, cela ne concerne que les appartements situés au rez-de-chaussée ou desservis par un ascenseur. Ainsi, si on évoque 20 % de logements accessibles obligatoires, on devrait donc parler de 20 % des 40 %. Les logements accessibles ne devraient donc concerner que 8 % de la totalité des logements neufs ! Un chiffre qui, cependant, devrait être légèrement revu à la hausse. En effet, le décret d’application de la loi Elan du 11 avril 2019, rend obligatoire l’installation d’un ascenseur à partir de trois étages, au lieu de quatre. Grâce à cette mesure, le nombre de logements desservis par un ascenseur devrait légèrement augmenter, et donc le nombre d’appartements définis comme accessibles, également.

Le poids des lobbies

Quoi qu’il arrive, la loi Elan fera drastiquement baisser le nombre de logements neufs accessibles aux personnes handicapées. Mais alors, pourquoi un tel recul de la politique d’accessibilité des logements, alors que le manque de logements accessibles est toujours très présent ? La majorité présidentielle explique que la loi Elan a été écrite dans l’optique de pouvoir construire « plus, mieux et moins cher » des logements. Il y aurait un besoin de logements neufs, or des normes (comme celles de l’accessibilité) seraient un frein à ces constructions. Le gouvernement a donc choisi de « simplifier » les règles de construction. En somme, une application de l’appel d’Emmanuel Macron à supprimer « des normes qui relèvent de très bons sentiments », comme l’expliquait le Président de la République en septembre 2017.

Mais plus qu’une volonté de simplification, le gouvernement et les parlementaires ont surtout cédé au lobby du bâtiment. Très puissante, la Fédération française du Bâtiment (FFB) a ses entrées à l’Assemblée Nationale. Ses nombreuses rencontres avec les députés et cabinets ministériels laissent penser que son rôle a été plus que déterminant dans cette loi. Alain Chapuis, référent accessibilité de la Fédération française de Bâtiment contacté par Beaview, s’en défend :

« Nous sommes écoutés mais la FFB n’a absolument pas dicté cette loi. Nous avons participé à plusieurs réunions et donné notre avis. Notre point de vue est celui du bon sens : on ne peut pas imposer des normes qui ne concernent qu’une partie de la population. On nous demande de promouvoir l’accès au logement pour le plus grand nombre, de construire moins cher. Il faut pour cela limiter les surcoûts. »

Pourtant, la loi Elan ressemble fortement à un rapport publié en 2013 par la Fédération française du Bâtiment. Dans ses « Préconisations en matière de simplifications réglementaires », elle propose que la réglementation concernant les logements accessibles ne s’applique qu’à 10 % d’entre eux. Dans le projet de loi adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale, c’est bien ce quota de 10 % de logements accessibles qui était annoncé, avant que le Sénat n’obtienne un compromis à 20 %.

Sous couvert de vouloir « construire plus, mieux et moins cher », la majorité présidentielle a donc attentivement écouté l’avis des lobbies de la construction, comme la FFB mais aussi la Fédération des promoteurs immobiliers de France. Ces syndicats d’entreprises du bâtiment défendent donc avant tout l’intérêt financier de leurs adhérents. Et non le droit commun, contrairement aux ministres, députés et sénateurs.

Les lobbies avancent régulièrement que la mise en accessibilité d’un appartement provoque un surcoût de 5 %, ce qui n’a pas été vérifié. Ils estiment aussi que cela nécessite entre 6 et 8 m² supplémentaires à la superficie d’un logement. Or, dans les faits, « seuls 3 m² supplémentaires suffisent » (deux pour la chambre, un pour la salle de bains), selon Christian François, ancien membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées, contacté par Beaview.

Par ailleurs, la notion même de quota pose problème. Le promoteur qui va construire un immeuble va devoir définir à quels logements il applique les règles d’accessibilité. Le problème est que ces règles sont beaucoup plus faciles à respecter pour un studio que pour tout autre type d’appartement. Il y a donc un risque de voir, parmi les nouveaux logements accessibles, une très grande majorité de studios, ce qui ne correspond pas forcément aux besoins de la population.

Les associations consultées, mais pas entendues ?

En 2018, pendant que la loi Elan est étudiée, de nombreuses voix se sont levées contre ce recul. La Commission nationale consultative des droits de l’homme, le Défenseur des droits, ou encore la commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe ont demandé à la majorité de renoncer à la mise en place de quota de logements accessibles.

Ces voix n’ont pas été entendues, comme celles des associations qui ont principalement été écoutées via le Conseil national consultatif des personnes handicapées. Cette instance, consultée par la majorité à chaque fois qu’un texte de loi concerne le handicap, est composée, entre autres, de 35 associations représentatives des personnes en situation de handicap. Ces 35 associations, qui ont également été consultées individuellement pour certaines, ont donc a priori, eu leur mot à dire. Mais, pour la dizaine d’entre elles que Beaview a contactées, jamais les décideurs n’ont véritablement écouté leurs arguments.

L’une des associations les plus importantes, l’APF France Handicap, a été reçue plusieurs fois à l’Assemblée nationale et dans les cabinets ministériels. L’APF France Handicap est traditionnellement ouverte aux négociations avec les décideurs, ce qui lui est reproché notamment par d’autres associations ou organisations, comme l’association Handi-Social ou le Collectif Lutte et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation (CLHEE). Le CLHEE milite contre le placement de personnes en situation de handicap dans des établissements ou des habitats partagés. Or, l’APF France Handicap est gestionnaire de 252 structures d’accueil. Légitimement, on peut alors se demander si l’APF France Handicap n’avait pas un intérêt à voir les conditions d’accessibilité des logements se réduire, poussant de plus en plus de gens à vivre dans leurs structures d’accueil. « C’est scandaleux de penser cela, reproche Nicolas Merille, conseiller adaptabilité pour APF France Handicap, contacté par Beaview. Notre objectif est de défendre les droits des personnes handicapées, pas autre chose. Sur la loi Elan, toutes les associations ont pu voir que nous étions vent debout contre cette réforme régressive contre laquelle nous nous sommes battus pendant plus d’un an. »

En effet, l’association nationale s’est publiquement opposée à la loi Elan, à plusieurs reprises. Elle a toutefois essayé de négocier, notamment en proposant des critères pour définir le « logement évolutif », comme conditions d’acceptation. Mais cette proposition n’a même pas été discutée et les associations se sont retrouvées devant une porte fermée. « Nos argumentaires n’ont jamais été débattus. On était face à un mur. Toutes les associations ont fait bloc, ce qui n’arrive pas toujours. Mais la majorité avait déjà son plan en tête », dénonce Nicolas Merille.

« Logements évolutifs » : un facteur de discriminations

L’autre grande nouveauté de cette loi Elan concerne les 80 % de logements (au rez-de-chaussée ou desservis par un ascenseur) restants. Désormais, ces logements devront être « évolutifs », c’est-à-dire un logement dans lequel une personne en situation de handicap peut circuler dans le séjour et les toilettes.

Par ailleurs, la loi Elan prévoit « la mise en accessibilité des pièces composant l’unité de vie du logement est réalisable ultérieurement par des travaux simples ». Le logement « évolutif » pourrait donc devenir « accessible » par des « travaux simples ». Les textes réglementaires (décrets et arrêtés), rendus au cours de l’année 2019, ont précisé ce qu’étaient des travaux simples, en érigeant quelques critères, comme ne pas toucher aux éléments de structure, aux alimentations en fluide ou aux canalisations.

« Ce sont des critères évidents mais ils ne garantissent pas que les travaux seront simples. Si, pour agrandir une salle de bain, il faut abattre une cloison, détruire le placard qui se trouvait derrière, remettre à niveau… Les critères seront respectés mais cela ne se réglera pas en 48h et coûtera cher », assure Christian François, ancien membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées, contacté par Beaview. Pour lui, il aurait même été préférable de revenir à la loi de 1975, qui prévoyait que tous les logements soient « adaptables », avec des travaux simples, décrits de manière beaucoup plus précise par un arrêté de 1980.

Cette notion de « travaux simples » pose problème. Comme expliqué plus haut, un logement « accessible » n’est pas un logement adapté mais adaptable… Et ce par la tenue de travaux simples. Or, la loi Elan nous dit qu’un logement évolutif peut devenir accessible, également par des travaux simples. Si tel était vraiment le cas, alors pourquoi ne pas être resté sur le principe de l’accessibilité ?

L’autre point de crispation concerne la charge de ces travaux, faisant passer le logement d’évolutif à accessible. Cela pose plusieurs problèmes. D’abord, un grand risque de discrimination à la location. En effet, un propriétaire privé acceptera-t-il de louer son logement à une personne en situation de handicap ou à une personne âgée si cela implique que son appartement soit transformé ? Et si un citoyen en situation de handicap sollicite la MDPH ou l’Anah, il lui faut en moyenne attendre 6 à 18 mois pour obtenir une réponse. Il sera donc privé d’un logement correspondant à ses besoins, au moins pour quelques mois supplémentaires.

« C’est une question de volonté politique »

« La loi Elan est désastreuse pour les personnes handicapées mais aussi pour les personnes âgées, plus susceptibles que d’autres de faire face à des difficultés motrices, insiste Nicolas Merille. Il leur sera compliqué de trouver un logement directement accessible ou de réaliser des travaux d’accessibilité. Le résultat, c’est qu’on va forcer les gens à quitter leurs logements pour aller dans des structures d’hébergement spécialisées, comme des Ephad ou des structures adaptées. »

Pour résumer, la loi Elan entraînera des difficultés de logement pour les personnes handicapées et les personnes âgées, alors que la pénurie de logements accessibles est déjà criante, et d’importants risques de discriminations sont à prévoir. De plus, la loi Elan va engendrer de fortes dépenses du contribuable. D’abord via le financement de travaux pour les logements évolutifs mais aussi en finançant ou en subventionnant des structures d’hébergement, comme celles citées plus haut, ou encore les habitats inclusifs, nouveau concept d’hébergements collectifs à destination des personnes âgées ou handicapées, que le gouvernement et certaines associations souhaitent développer.

« C’est une question de volonté politique », dénonce Vincent Assante, président de l’Association nationale pour l’intégration des personnes handicapées moteurs, contacté par Beaview. En effet, face à la volonté de construire des logements plus rapidement et de manière moins coûteuse, la majorité présidentielle a choisi de rogner sur les normes d’accessibilité, plutôt que d’actionner d’autres leviers, a priori plus efficaces. C’est le cas notamment du coût du foncier, qui a doublé en l’espace de vingt ans. De ce fait, les promoteurs cherchent à baisser les coûts de construction, en réduisant les surfaces et en s’affranchissant de certaines réglementations jugées contraignantes. « Le coût du foncier est le vrai nœud du problème du logement. Mais le gouvernement, qui a les moyens de le réguler, n’en parle jamais, explique Nicolas Merille, d’APF France Handicap. On a préféré ne pas se poser de questions et suivre les yeux fermés le lobby du bâtiment. »

Un article de Florent Le Du

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